Cuba: L'ECOLE DE FORMATION INTEGRALE José Marti OU LA REEDUCATION DES MINEURS DELINQUANTS

Publié le par cubasifranceprovence

Éduquer avec amour

Lisandra Fariñas Acosta

UNE école sans murs, sans barreaux, sans gardiens. Il n’y a pas non plus d’inscription à un fichier de délinquance juvénile, car lorsque les jeunes adolescents arrivent dans cet établissement, ils le font en tant que personnes qui ont besoin d’aide et de conseil, d’orientation pour se former comme des hommes et des femmes honnêtes. Pas de maltraitance non plus, car à Cuba, il n’y a pas de prisons pour enfants.

« À Cuba, le taux de réinsertion des mineurs présentant des troubles de la conduite dépasse 80% », a précisé la colonel Borges Barrios.

Le mercredi 20 novembre, à l’occasion du 24e anniversaire de la Convention des Droits de l’enfant, la presse cubaine et étrangère a eu l’occasion de visiter l’École de formation intégrale José Marti de La Havane, un des 12 centres de ce type existant dans le pays, accueillant les mineurs ayant commis des actes qualifiés de délit par la loi, ou des jeunes présentant des troubles graves du comportement.

Les échanges avec ces jeunes se déroulent dans le calme. Au fur et à mesure que la confiance s’installe, les regards évasifs et distants se font plus proches. Nous bavardons et rions ensemble et ils vont même jusqu’à nous raconter leurs rêves. C’est ainsi que Talia me confie qu’elle veut être manucure, qu’Eduardo aime l’agriculture et qu’il lit José Marti avec beaucoup d’intérêt.

Dans la salle thérapeutique, certains jouent aux dames ou aux petits chevaux pour évacuer les tensions. Une jeune fille me sourit lorsque je lui propose que ce soit Julio, son ami et camarade de jeu, qui adore faire des gâteaux, qui prépare le gâteau de son 15e anniversaire puisqu’il a appris métier de patissier à l’école.

QUAND IL N’Y A PAS DE DIFFÉRENCE L’AMOUR EST INFINI

Ces écoles préparent les adolescents à une réinsertion sociale réussie.

Rechercher le meilleur d’un individu en s’appuyant sur la relation d’amour qui s’instaure entre élèves et professeurs est la mission de l’École de formation intégrale (EFI) José Marti. Tous les efforts visent à stimuler les capacités des adolescents, en favorisant leur développement afin de satisfaire leurs besoins éducatifs spéciaux et faciliter ainsi leur réinsertion sociale.

Ce centre, qui dessert les provinces d’Artemisa, de Mayabeque et la municipalité spéciale de la l’Île de la Jeunesse, accueille 40 élèves. La moyenne d’âge oscille entre 14 et 16 ans, avec une majorité d’adolescents de 15 ans. Environ 70% d’entre eux ont commis des infractions, comme des larcins, des vols avec effraction, ainsi des voies de faits, notamment des coups et blessures.

La major et licenciée en psychologie Isabel Gonzalez Benitez, directrice de l’institution, a expliqué à la presse que, conformément au Décret de Loi 64/82, le ministère de l’Éducation et la Direction des mineurs du ministère de l’Intérieur interviennent dans la prise en charge des mineurs jusqu’à 16 ans présentant des troubles du comportement.

La psychologue a indiqué que des diagnostics précis de la personnalité des adolescents sont effectués dans les Centres d’évaluation, d’analyse et d’orientation des mineurs (CEAOM) afin d’évaluer leur niveau du trouble des conduites et les besoins éducatifs permettant de corriger et de compenser ces troubles. « Le diagnostic permet de déterminer les éléments susceptibles de favoriser le changement et de recommander les mesures à adopter. Ces centres disposent d’équipes multidisciplinaires composées de psychologues, de pédagogues et de juristes, entre autres. »

Gonzalez Benitez a insisté sur une des fonctions les plus importantes de ces centres, à savoir l’orientation spécialisée des familles durant le processus d’évaluation, dans des écoles de parents, des psychothérapies de groupe ou des thérapies familiales. Il s’agit également de socialiser le processus d’évaluation avec la participation des responsables concernés, et d’analyser les causes et les circonstances qui ont amené ces mineurs à des indices élevés de déviance sociale et à commettre des actes délictueux.

Chaque élève bénéficie d'une éducation spécialisée différenciée.

La prise en charge du mineur s’inscrit dans le cadre de mesures recommandées par le Conseil de prise en charge des mineurs. Celle-ci peut se faire soit en externat, avec une attention spéciale au sein de la communauté, soit en internat.

Les Écoles de formation intégrale accueillent les mineurs en internat. Les stratégies éducatives dans lesquelles interviennent une équipe de professionnels comprenant des psychologues, des psychiatres, des psychothérapeutes, du personnel de la santé et des enseignants, sont individuelles et différenciées.

Isabel Gonzalez Benitez a signalé que les organisations étudiantes et les conseils de parents participent également à la prise en charge des élèves avec les éducateurs, afin de canaliser par cette voie leurs inquiétudes et leurs suggestions.

« Chaque adolescent est pris en charge par environ trois spécialistes », a précisé la colonel Idais Borges Barrios, responsable de la Direction des mineurs du ministère de l’Intérieur.

Pendant leur séjour à l’EFI, selon l’évolution de leur comportement, les élèves passent par différentes étapes de traitement et d’encadrement intégral : une période d’adaptation, une étape de développement et de consolidation au cours de laquelle le mineur doit apprendre à modifier sa conduite, jusqu’à sa sortie de l’école.

Pour passer d’une étape à l’autre, a signalé la directrice de l’EFI, les élèves doivent adopter des changements de comportement, montrer des transformations et une stabilité de conduite, en correspondance avec les exigences disciplinaires de l’école, au cours de leur formation et des activités éducatives et autres auxquelles ils participent, en vue de se préparer à leur réinsertion dans la communauté.

Établir des relations sociales adaptées avec le groupe et le personnel de l’institution et montrer un bon comportement au cours de leur scolarité et de l’apprentissage d’un métier, sont des conditions tout aussi indispensables.

« Pendant leur séjour à l’école, les élèves suivent le programme d’enseignement élaboré par le ministère de l’Éducation pour l’enseignement général secondaire et l’apprentissage d’un métier. »

« Nous disposons d’un atelier polyvalent, où ils peuvent apprendre la cuisine, la mécanique, la soudure, la maçonnerie, la cordonnerie, la coiffure pour femme et pour homme. Dans ce dernier cas, les élèves ont la possibilité d’obtenir un diplôme pour exercer ce métier une fois sortis de l’école », a expliqué la directrice.

« Nous travaillons également à leur orientation professionnelle et au choix d’un métier, grâce à la participation à des cercles d’intérêt », poursuit-elle.

Gonzalez Benitez a mentionné, entre autres, les cercles sur l’environnement « Amigos de la Bahia », l’informatique, les échecs, la santé, la peinture, le dressage canin, les pompiers, la danse avec des ateliers de formation avec la compagnie Litz Alfonso, et de danses traditionnelles qui sont assurés par deux instructeurs d’art.

Les jeunes ont également la possibilité de participer à des activités récréatives, culturelles, sportives et patriotiques. Nombreux de ceux que nous avons rencontrés se souviennent de leur voyage à Villa Clara, au mausolée du Che, ou de leur journée de détente au Parc Lénine. D’autres ont parlé des anniversaires collectifs qu’ils ont fêtés il y a peu de temps, car l’école n’oublie jamais aucune de ces dates. Ils ont aussi des vacances qui sont prévues en fonction de l’étape de formation dans laquelle ils se trouvent.

Notre visite à l’EFI a coïncidé avec celle de plusieurs étudiants de la Faculté de communications de La Havane, qui ont mis en place depuis plusieurs années le projet Escaramujo, auquel participent sept écoles. Cette année, le projet est consacré à la violence de genre.

Rodolfo Romero, professeur de l’École de communications, a expliqué que le projet a pour objectif, à travers l’utilisation d’outils de communication et de participation basés sur l’éducation populaire, d’aider à la formation des élèves, des éducateurs et des officiers chargés des mineurs.

« La majorité des jeunes sont attirés par l’audiovisuel. Ils ont envie de raconter leur histoire et celle de leur famille, et aussi combien cette école est différente d’une prison, car nombre de parents de ces élèves sont allés en prison. »

LE DROIT À UNE DEUXIÈME CHANCE

Tout être humain a besoin de compréhension. En un mot, il a besoin d’amour, et en première instance de l’amour familial. Derrière chacun de ces regards évasifs, se cache pour l’immense majorité une histoire de manque d’amour et de dysfonctionnement familial. Une histoire d’indifférence qui lacère et marque la vie de chacun de ces adolescents.

C’est la raison pour laquelle, la famille doit être associée à la prise en charge éducative du mineur, dès son entrée à l’institution.

« Nous recherchons les causes de leur comportement déviant. Souvent nous constatons que les parents ne possèdent pas les outils éducatifs pour pouvoir contrôler et former leurs enfants.

« Nous préparons l’adolescent à la réinsertion dans son milieu. Cette école est une école de transition, où le jeune va séjourner environ une année, un peu plus longtemps si nécessaire. Dans chaque communauté, un officier chargé des mineurs assure le suivi de la famille et de son environnement pendant un an, dans le cadre de la stratégie éducative. À sa sortie, le jeune n’est pas seul. Nous sommes parvenus à 75% de réinsertion dans la société », a signalé Gonzalez Benitez. « À Cuba, le taux de réinsertion de ces mineurs dépasse 80% », a précisé la colonel Borges Barrios.

« Ces écoles prennent en charge des jeunes de moins de 16 ans. Dans certains cas exceptionnels, le Décret-Loi 64/82 établit que nous pouvons les scolariser jusqu’à 18 ans. Il est possible d’interrompre la mesure et si cela se révélait nécessaire de prolonger la prise en charge. Du point de vue légal, il est possible de l’étende pendant une période ne dépassant pas 5 ans, dans un centre différent du traitement différencié de système pénitentiaire. Notre objectif est de faire en sorte que ces écoles compensent les besoins éducatifs et de réinsertion », a expliqué la Colonel Borges Barrios.

Le lieutenant colonel Alfredo Aradas, responsable de l’organe d’évaluation et de contrôle de la Direction des mineurs, a signalé que, bien que cela ne concerne que très peu de cas isolés, la loi prévoit de retirer l’autorité parentale aux familles qui portent atteinte au développement normal du mineur, en ne lui offrant pas une protection, des soins et une alimentation suffisante. L’État se charge alors de leurs soins, en leur procurant tout ce qui leur est nécessaire dans des foyers pour enfants sans soutien parental.

Il est indispensable de s’occuper de la famille. La projection des jeunes dans la communauté, celle-là même qui n’est pas encore prête à les recevoir pour leur réinsertion, dépend de ce qu’ils apprennent dans leur famille. Cette communauté qui doit leur donner une chance de prouver qu’ils ont changé et qui doit comprendre que ce sont des enfants, avec les mêmes droits et les mêmes possibilités que n’importe quel enfant de notre pays.

« Certains veulent-ils rester à l’école ? » demande quelqu’un. « Cela s’est déjà produit… », répond la directrice.

Une raison de plus pour que la famille soit la base et l’exemple. Éduquer les parents, éduquer nos enfants, les mères et les pères de demain reste notre objectif.

L’expérience cubaine d’intervention socio-pédagogique, psychologique et sociale dans l’éducation de ces mineurs, dont le comportement est perfectible comme tout modèle humain, démontre ce qui peut être fait lorsque l’on travaille avec amour, sans faire de différence et sans stigmatiser.

« Nous apprenons autant d’eux qu’eux de nous. Ils sont comme des diamants bruts », affirme la directrice de l’École.

Francisco Sosa Tamayo, professeur thérapeute du centre, qui enseigne l’Histoire de Cuba, la communication sociale et les techniques agricoles de base, a révélé à Granma une des clés de la réussite : « Nous devons chercher ce qu’il y a de meilleur en eux, rattraper le temps perdu. Ils n’ont besoin que d’amour. »

Système de prise en charge des mineurs présentant des troubles du comportement à Cuba

• La prise en charge de ces mineurs se fait à travers deux sous-systèmes conformément au Décret-Loi 64/82.

Sous-système MINED

(ministère de l'Éducation)

• Écoles de comportement

• Centres de diagnostic et d'orientation (CDO)

• Conseils de prise en charge des mineurs (MINED)•

Sous-système MININT

(ministère de l’Intérieur)

• Service de Prévention de mineurs

• Centres de protections pour filles, garçons et adolescents (CPNNA)

• Centres de prise en charge des mineurs (MININT) (CAM)

• Centres d'évaluation, d'analyse et d'orientation des mineurs (CEAOM)

• Écoles de formation intégrale (EFI)

(source Granma International édition en français 28 novembre 2013)