Amérique Latine: Pourquoi il est urgent de rompre la paralysie de la Banque du Sud
Par Ariel Noyola Rodríguez / Resumen Latinoamericano/ RT / 21 janvier 2016.-
traduction Françoise Lopez
Face à l'augmentation de la récession mondiale, il est urgent que les présidents d'Amérique du Sud mettent toute leur énergie dans la construction d'institutions de crédit propres et l'utilisation d'instruments de coopération financière destinés à affaiblir l'influence du dollar dans la région. Etant donné que le Gouvernement des Etats-Unis cherche à imposer par tous les moyens possibles sa domination économique dans la région, pour les pays d'Amérique du Sud, il est devenu indispensable de conquérir leur autonomie politique face aux institutions traditionnelles de crédit.
Le mode opératoire du Fonds Monétaire International (FMI), de la Banque Mondiale et de la Banque Inter-américaine de Développement (BID) et déjà assez connu: l'utilisation de la dette comme moyen de pression contre les peuples plongés dans l'insolvabilité, l'imposition de mesures économiques draconiennes (diminution des dépenses sociales, des salaires, privatisation des entreprises d'Etat stratégiques, etc...), l'assistance financière sans limites à des Gouvernements issus d'un coup d'Etat mais soutenus par la Maison Blanche (comme au Chili au milieu des années 70), etc... Pour ces raisons et beaucoup d'autres, il faut renforcer les ciments de l'architecture financière sud-américaine.
En premier lieu, on a besoin d'une Unité Monétaire Sud-américaine (UMS). L'UMS n'est pas une "monnaie commune" comme l'euro mais un panier de référence composé d'un ensemble de monnaies (comme les Droits de Tirage Spéciaux1 du FMI). En définitive, l'UMS est une référence qui jouit d'une meilleure stabilité que le dollar aussi bien pour l'émission de bons que pour la comparaison des prix à l'intérieur de la région. En parallèle, on doit promouvoir l'idée que les échanges commerciaux se facturent en monnaie nationale.
Depuis 2008, l'Argentine et le Brésil ont mis en marche le Système de Paiement en Monnaies Locales (SML). Et en octobre 2015, le Paraguay et l'Uruguay ont mis en place un mécanisme de paiement analogue. Grâce à cela, on a évité de passer par le dollar et les coûts des transactions se sont vus réduits considérablement entre les entreprises des 2 parties. Maintenant, il reste seulement à impliquer la Bolivie et le Venezuela pour, de cette façon, stimuler la "dé-dollarisation" entre tous les pays qui font partie du Marché Commun du Sud (MERCOSUR).
En second lieu, les pays d'Amérique du Sud ont besoin d'un puissant fonds de stabilisation monétaire capable de protéger ses balances des paiements des violentes fluctuations du dollar, encore plus après que le Système de la Réserve Fédérale (FED) des Etats-Unis ait élevé le taux d'intérêt des fonds fédéraux (‘federal funds rate’) en décembre de l'année dernière. De 2002 à 2009, l'essor des prix des matières premières (‘commodities’) a favorisé l'accumulation massive de réserves internationales et cependant, l'Amérique du Sud a continué à financer les pays industrialisés.
Une bonne partie des milliers de millions de dollars que la région sud-américaine a épargnés pendant ces dernières années a été investie en bons du trésor des Etats-Unis au lieu d'être canalisée vers des activités de production à travers un Fonds du Sud très puissant. A ce moment-là, le seul Fonds de stabilisation qui existe dans la région est le Fonds Latino-américain de Réserves (FLAR) lancé à l'origine par la Communauté Andine en 1978 sous le nom de Fonds Andin de Réserves et actuellement composé par la Bolivie, la Colombie, le Costa Rica, l'Equateur, le Paraguay, le Pérou, l'Uruguay et le Venezuela.
Cependant, les ressources à la disposition du FLAR sont insuffisantes pour contenir des fuites précipitées de capitaux dans des conjonctures critiques: son capital souscrit2 est d'à peine 3 609 millions de dollars, un montant qui représente moins de 15% des réserves emmagasinées par la Banque Centrale de Bolivie. Le marché mondial du crédit est devenu trop volatil. Seulement en 2015, plus de 98 000 millions de dollars d'investissements financiers des pays émergents ont fui, selon les estimations de l'Institut des Finances Internationales (IIF).
Par conséquent, il est urgent de se mettre au travail face à cette dangereuse vulnérabilité. Les pays du MERCOSUR ont besoin d'un fonds de stabilisation propre qui, étant donné le haut degré d'intégration financière du Brésil avec le reste du monde, a au moins 100 000 millions de dollars de capital souscrit, ce qui représente le volume des ressources avec lequel commencera à fonctionner l'Accord des Réserves d'Urgence du BRICS (acronyme de Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Et en troisième lieu, les pays sud-américains doivent sortir la Banque du Sud du blocage bureaucratique dans lequel elle se trouve pour qu'elle émette enfin ses premiers prêts. Les détails techniques sont pratiquement prêts: le capital initial3 sera de 7 000 millions de dollars et le capital autorisé4 de 20 000 millions de dollars, son siège principal sera au Venezuela, l'Argentine et la Bolivie accueilleront d'autres succursales. Avec tout cela, sa mise en marche a été reportée une fois ou l'autre, si bien que depuis plus de 8 ans que son acte de fondation a été signé dans la ville de Buenos Aires, la Banque du Sud continue à ne pas ouvrir ses portes.
C'est qu'il existe de puissants intérêts économiques qui font obstacle à une rupture avec le statu quo aussi bien à l'intérieur de la région qu'à l'extérieur. Bien qu'au début, on ait envisagé que la Banque du Sud réunisse tous les pays de l'Union des Nations Sud-américaines (UNASUR), cela paraît impossible. Le Surinam et le Guyana n'y ont pas intérêt alors que le Chili, la Colombie et le Pérou s'obstinent à soutenir les projets d'intégration impulsés par Washington, aussi bien l'Alliance du Pacifique que l'accord d'Association Trans-pacifique (TPP).
En conséquence, les membres de la Banque du Sud se sont réduits aux pays du MERCOSUR plus l'Equateur. D'autre part, les résistances à l'intérieur du bloc viennent surtout d'Itamaraty, le Ministre des Relations Extérieures du Brésil. En Amérique du Sud, l'influence de la Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES) du Brésil est écrasante, tellement qu'en quelques années, elle a réussi à dépasser les montants de crédit fournis par le FMI, la Banque Mondiale et la BID.
La BNDES n'a pas intérêt à faire avancer l'intégration latino-américaine. En réalité, sa mission est de garantir la fourniture de matières premières (‘commodities’) aux entreprises brésiliennes. Les ressources de la BNDES sont destinées à de mega-projets qui reproduisent la dépendance activités primaires-exportations5 des pays sud-américains comme l'Initiative pour l'Intégration de l'Infrastructure Régionale (IIRSA), un réseau de routes de dimensions continentales qui profiteront uniquement à une poignée de corporations.
A l'opposé, l'argent de la Banque du Sud ne sera pas destiné uniquement à des travaux d'infrastructures mais aussi à un large éventail de programmes d'investissement liés à l'éducation, à la santé, au logement, etc... La Banque du Sud rejettera complètement les critères du "Consensus de Washington” qui a amené tant de misère à Notre Amérique, accordera des prêts à des taux d'intérêt très bas car con but est de stimuler le développement économique total des peuples.
C'est indubitable, la Banque du Sud constitue un grand espoir en temps de crise. D'un côté, elle servira de puissant mécanisme d'amélioration de l'économie pour les pays d'Amérique du Sud qui sont victimes de contractions6 sévères. D'un autre côté, ce sera un support décisif pour financer les objectifs les plus ambitieux de l'intégration sud-américaine: des projets scientifiques et technologiques conjoints, un réseau de chemins de fer et un réseau énergétique, etc...
En conclusion, les Gouvernements sud-américains doivent prendre des mesures concrètes qui mette un frein à la restauration conservatrice en cours, s'ils ne le font pas, ils précipiteront leur débâcle. Il est évident que le Gouvernement du Brésil a la plus grande responsabilité de sauvegarder la souveraineté du continent. Des hauts fonctionnaires d'Itamaraty dépendra en dernier recours de rompre la paralysie de la Banque du Sud.
Ariel Noyola Rodríguez est économiste diplômé de l'Université Nationale Autonome de México. journaliste d'opinion de la revue Contralínea, publie aussi dans Brecha (Uruguay), Rebelión et Rusia Today.
Source Russia Today
1Pour plus d'infos sur les droits de tirage spéciaux du FMI:
https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/sdrf.htm
2 Le capital souscrit est la promesse d'apport qui a été irrévocablement faite par les associés. Le capital souscrit est l'appellation légale du capital social dans le bilan et le plan comptable des sociétés anonymes, des sociétés privées à responsabilité limitée et des sociétés en commandite par actions. (http://www.becompta.be/dictionnaire/capital-souscrit)
3capital placé initialement
4somme maximale pouvant être utilisée
5En économie, le secteur primaire, parmi les trois secteurs économiques définis dans la comptabilité nationale, regroupe les activités liées à l’exploitation de ressources naturelles : agriculture, sylviculture, pêche et activités minières1. Le secteur primaire rassemble l'ensemble des activités qui produisent des matières premières non transformées. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Secteur_primaire)
6En économie, une contraction est une diminution du niveau d'activité, synonyme de « décroissance ». On utilise souvent « récession » dans ce sens, mais stricto sensu une récession désigne un ralentissement du rythme de croissance, et pas une diminution de l'activité. Une dépression est une contraction durable de la production et de la consommation. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Contraction_(économie))
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