Cuba: Éloge critique
par Gilles Proulx
Le journal de Montréal, 28 février 2016
Cuba n’est pas démocratique, je veux bien. Mais Haïti, oui... Mais dans lequel de ces deux pays iriez-vous naître si vous aviez le choix? À Cuba, il faut se montrer à la fois critique et élogieux – les deux – avec l’héritage de Fidel Castro. Quiconque ne s’en tient qu’à la critique ou à l’éloge me semble avoir un esprit partisan.
Les nationalistes cubains n’avaient pas d’autre choix que de devenir communistes. Pour recouvrer leur souveraineté, il leur fallait éradiquer le pouvoir de l’argent de leur voisin qui dominait tout chez eux.
Pour recouvrer leur souveraineté, il leur fallait éradiquer le pouvoir de l’argent de leur voisin qui dominait tout chez eux.
Chef tout puissant, Castro aurait très bien pu jouer les demi-dieux et fomenter un génocide à la cambodgienne ou s’acharner sur l’ennemi intérieur à la manière de la totalitaire Corée du Nord (que j’ai récemment visitée); son pouvoir absolu ne l’a donc pas corrompu (ou rendu fou comme Mouammar Kadhafi ou Saddam Hussein), ce qui est louable.
Si Cuba n’avait pas cessé d’être une «république de bananes» soumise aux intérêts du voisin américain, les conditions de vie y seraient bien pires et l’analphabétisme galopant... Or, la «vilaine dictature» a investi dans l’éducation et dans la santé.
Comparer avec ce qui est comparable
Quand on vous peint un portrait très sinistre de Cuba, on s’assure de ne jamais comparer ce pays à ses voisins immédiats.
En République dominicaine, la présence américaine est très forte. Ce pays roule-t-il sur l’or? Non. Est-il épargné par la corruption? Non plus!
En Amérique latine, on voit souvent des bidonvilles former des quartiers à part entière. À Cuba, il n’y en a pas. L’extrême pauvreté a été éradiquée (contrairement aux États-Unis).
L’échec des Américains n’est pas seulement de ne pas être parvenus à assassiner Fidel Castro, malgré quelque 80 tentatives avortées, c’est surtout que le castrisme, plus pragmatique que dogmatique, a évolué pour survivre.
Au lieu de s’effondrer avec le Bloc soviétique (comme on s’y attendait), Cuba s’est ouvert au tourisme pour se faire de nouveaux amis. La France est omniprésente; il y a aussi la Chine, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et le Venezuela.
Le castrisme a un avenir
Quant à la popularité des Castro, j’ai eu l’occasion de voir à distance, à Santiago de Cuba, Raul Castro au milieu d’une foule, prenant «un bain» et se faisant acclamer par les gens...
Ma prédiction: le castrisme va survivre aux frères Castro. Des jeunes Cubains vont l’adopter et l’adapter pour éviter à leur pays de redevenir un satellite des États-Unis.
Fidel Castro sera-t-il adulé à l’égal d’un Simon Bolivar? Ça se pourrait. Son frère et lui ont certes échoué à propager la doctrine communiste dans les pays environnants, mais il suffit de regarder les régimes politiques de gauche ou de centre gauche sur le continent hispanophone pour constater leur relative réussite. Ils ont ouvert une brèche dans l’hégémonie américaine du Mexique à la Terre de Feu.
Barack Obama va donc bientôt rendre visite à ce vaillant petit peuple tellement têtu qu’il est devenu important.
http://www.journaldemontreal.com/2016/02/28/eloge-critique-de-cuba