Venezuela: Une guarimba médiatique entoure les victimes de La Sortie
par Nazareth Balbás (AVN)
traduction Françoise Lopez
Caracas, 12 février AVN.- A 8h40 du soir, le téléphone a sonné. Ce n'était pas assez tard pour qu'on pressente une mauvaise nouvelle mais ce le fut. Son fils de 21 ans était mort. On lui a tiré dans la poitrine et le décès fut immédiat. "J'ai fait tout le chemin avec cette douleur", raconte monsieur William Bastardo en évoquant le trajet de 5 heures - entre Caracas et Cumaná - qu'il a fait pour aller chercher le corps du plus âgé de ses 4 fils.
Mais ça, ce n'est pas une histoire sur les coupables.
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En avril 2013, un peu plus d'un mois après la mort du président Hugo Chávez, il y eut des élections présidentielles au Venezuela. Ca a été la campagne la plus courte et atypique de l'histoire récente et le candidat du chavisme Nicolás Maduro et de la droite Henrique Capriles, battu aux présidentielles de 2012, se sont disputé le siège à Miraflores.
Le résultat fut serré mais indiscutable: Maduro a gagné avec plus de 50% des voix. A l'annonce du résultat, le perdant a invité ses partisans à violence: "Déchargez toute cette colère noire", a-t-il dit à la télévision.
"La mort de mon fils est survenue en avril quand monsieur Capriles a lancé son appel à décharger la colère noire. Comme nous le savons, le synonyme de colère noire est rage, haine, c'est ce qu'il a ordonné de décharger à ses partisans, d'attaquer toutes les personnes qui célébraient (la victoire de Maduro)", a dit monsieur Bastardo par téléphone, tandis qu'il faisait son marché du samedi.
Son fils Ender José faisait partie du peuple qui célébrait le triomphe du chavisme dans les rues de Cumanacoa, état de Sucre, quand ils l'ont assassiné. L'auteur matériel de cet homicide a été condamné à 15 ans de prison et son complice à 7.
"Les années passent mais plus rien n'est pareil, il n'est plus à table avec ses frères. Pour moi, tout a changé: la façon de travailler, de partager avec mes amis, je ne sors presque plus, c'est comme si depuis cela, tu te cachais, comme si tu ne voulais plus sortir".
Cet épisode de violence provoquée par Capriles, qui a fait 11 morts et des centaines de blessés serait caractéristique de la conduite de la droite depuis le début du gouvernement du président Maduro et donnerait lieu, 10 mois plus tard, à une escalade plus atroce.
Mais ça, ce n'est pas une histoire sur les coupables mais sur les victimes.
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Le 2 février 2014 était un dimanche. Sur la Place Brión de Chacaíto, sur la frontière qui sépare l'est et l'ouest de Caracas, des partisans de l’opposition écoutaient le coordinateur du parti d'extrême droite Voluntad Popular, Leopoldo López, appeler à renverser le Président Maduro: "Nous devons comprendre que ce ne sera pas facile, il faut nous organiser, nous entamons une étape pour chercher sa sortie".
Le lendemain, le site du journal El Nacional montrait une photo de López, María Machado et Antonio Ledezma souriants dans la foule. sous la photo, une citation de l'ex députée de droite: "Le pays ne peut plus attendre". La nouvelle la plus mise en valeur de cette édition avait un titre révélateur: "Ils appellent à politiser les protestations de rue en maintenant l'unité".
La concentration s'acheva ce jour-là avec l'appel à une mobilisation quelques jours plus tard, qui partirait de la Place du Venezuela bien que, comme le rapporte El Nacional "les dirigeants ne pas révéler" où elle se terminerait. Ainsi commencerait "La Sortie".
Mais cela n'est pas seulement l'histoire des victimes, c'est aussi l'historie des causes.
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Le 12 février, l'opposition s'est mobilisée vers le centre de Caracas. Le but de la marche, selon l'édition d'El Nacional de ce jour-là, était d'exiger la fin de la "criminalisation des protestations". Bien que la foule soit arrivée sans problèmes depuis la Place du Venezuela, au moment du départ de la direction, un petit groupe commit des actes de vandalisme. Le siège du Ministère Public a été violé et la liste des morts commença, ce soir-là, avec l'assassinat de Bassil Da Costa, un participant à cette marche et du dirigeant chaviste Juan Montoya, tous deux par des tirs précis à la tête.
une troisième victime tomba, cette nuit-là, à Chacao: Robert Redman. Il mourut, comme Costa et Montoya, d'un tir à la tête. Il avait participé aux événements d ela soirée et pendant la nuit, il agissait sur les premières guarimbas sur l'avenue San Ignacio del Loyola de cette municipalité gouvernée par la droite.
Le président Maduro ordonna une enquête et dénonça le fait que, comme il en avait averti quelques jours plus tôt, dans le pays se préparait un coup d'Etat. Le 14 février, il fut prouvé que l'arme qui avait assassiné Da Costa était la même que celle qui avait tué Montoya et que c'était José Ramón Perdomo, un fonctionnaire du Service Bolivarien de Renseignement (SEBIN) qui la portait. De même que d'autres personnes arrêtées, il avait désobéi aux ordres de maintien dans les casernes donnés par l'Exécutif.
A partir de ce soir-là, les homicides, les dégâts matériels à des lieux publics et privés, le blocage de voies de circulation et l'annonce de blessés suite aux guarimbas, sont devenus fréquents dans 18 des 335 municipalités du pays, en majorité gouvernées par l'opposition.
en presque 2 mois, 43 morts. Sur ces morts, 29 ont été assassinés par arme à feu et 9 étaient des fonctionnaires de police ou des militaires. Dans 21 des cas, les balles avaient touché au-dessus des épaules, ce qui faisait présumer l'action de franc-tireurs. 7 autres personnes qui circulaient à moto, sont mortes à cause des câbles barbelés installés dans les rues par les insurgés.
Presque la moitié des morts est survenue lors de blocages de rues. Certains ont été assassinés tandis qu'ils protestaient et 10 autres sont morts en essayant de rouvrir le passage. Le nombre de blessés a dépassé les 800 et parmi eux, il y aut des personnes mutilées ou estropiées pour la vie.
Ca, c'est aussi l'histoire de ceux qui peuvent la raconter. Les survivants.
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Les marques sur la jambe. Ramzor Bracho était sur la table d’acier inoxydable glaciale avec le nom du dossier d'autopsie noté sur la jambe. "J'étais tellement en colère à ce moment-là que ma première pensée fut: "Ce n'est pas du bétail pour qu'ils l'aient marqué". J'ai aidé moi-même à le baigner. Je l'ai baigné, je l'ai examiné, je l'ai vêtu. Ca a été très dur pour moi parce qu'il m'avait demandé quelques jours auparavant de lui acheter des vêtements et je suis allé au village et je lui ai acheté des jeans. C'était le samedi. Le samedi, je lui achetais des vêtements et le mercredi, je le mettais dans un cercueil", raconte la veuve du capitaine de la Garde Nationale Bolivarienne (GNB) Yendry Velásquez.
Ceci arriva le 12 mars 2014 un mois après le début des guarimbas. Bracho, un capitaine de la GNB était détaché à Valencia, état de Carabobo, ce jour-là. Dans la matinée, il avait appelé sa femme, alors qu'il leur manquait un peu plus de 3 mois pour le mariage à l'église, pour lui demander d'essayer de ne pas sortir de la maison: "Il était nerveux parce qu'il craignait que les choses puissent être pires dans la rue".
Elle lui dit qu'elle sortirait, qu'elle reviendrait tôt et qu'elle lui dirait quand elle rentrerait.
A 3 heures de l'après-midi, elle était de retour à Guarenas et elle s'est étonnée qu'il ne l'ait pas appelée à nouveau. "Regarde, j'ai déchargé le téléphone en l'appelant jusqu'à ce que je décide de sortir avec les enfants acheter de la nourriture à Samantha, la petite chienne qu'il m'avait offerte". Quand je suis rentrée à la maison, le téléphone a sonné: "C'était la maman de mon meilleur ami qui me dit qu'on avait tiré sur Ramzor".
"En arrivant au poste de commandement où j'allai demander que quelqu'un m'amène à Valencia parce que je n'avais que 1 300 bolivars dans le porte-monnaie, un ami d'enfance m'appelle et je l'entends sangloter. Là, j'ai compris que c'était grave parce qu'il pleure, il faut qu'il soit hors de lui. Alors, je lui dis: "Dis-moi une bonne fois si je vais à Valencia en courant à l'hôpital ou si je rentre chez moi chercher une robe noire." Il resta muet 5 secondes et il me dit que ce n'était pas nécessaire que j'aille chez moi, qu'ils me l'avaient tué".
"J'ai réagi à 3 heures du matin quand je me suis vue aux pompes funèbres avec mon mari dans une urne (...) Tu sais? Je n'ai jamais voulu me marier avec le père de mes filles quand il me l'a proposé, je ne sais pas, ça ne me disait rien. Mais quand Ramzor m'a demandée en mariage, je n'y ai pas réfléchi à deux fois parce que je me suis dit: "Avec ce type, je vais mourir de vieillesse".
Bracho a été assassiné dans le secteur de Mañongo, au nord de Valencia. Il a reçu une balle alors qu'il essayait de protéger un officier blessé par arme à feu.
Ce jour-là, El Nacional titrait: "L'Armée entre dans la répression" et dans les pages intérieures, dans un petit encart, on évoquait la "militarisation" à Mañongo.
Ca, c'est aussi l'histoire du silence.
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"malheureusement, tous ces faits ont été passés sous silence ou déformés par certains médias sociaux et par d'autres acteurs politiques et même par certains organismes internationaux qui défendent les Droits de l'Homme et ilsont prétendu montrer les auteurs intellectuels et matériels de la violence comme des victimes du pouvoir d'Etat en nous oubliant, nous qui souffrons réellement des conséquences de l'appel à la violence".
Cette déclaration a été faite par Nairobi Olivera de González, veuve du procureur Julio González quand elle a parlé devant l'Assemblée Nationale en novembre 2014. Son mari est mort sur le coup après avoir essayé d'éviter une barricade sur l'Avenue Cuatricentenario, secteur de La Manguita, à Valencia. Il était sorti de chez lui pour vérifier l'état de santé des blessés dans les actions de rue de ce jour-là, le 18 février, parmi lesquels l'étudiante Génesis Carmona qui mourra le lendemain d'une balle qu'elle avait reçue dans l'épaule.
"La barricade était pleine de pierres, il y avait un lit, un réfrigérateur, il y avait beaucoup d'ordures mais une des pierres s'est incrustée dans le moteur et lui, en l'évitant, est rentré dans un arbre et il est mort sur le coup. Ce fut une mort très injuste."
L'injustice, cependant, serait multiforme. Le temps passant, dans les médias nationaux et internationaux, on ne parlait que des victimes de l'opposition. Les fonctionnaires de police, les militaires, les gens du service public, les militants chavistes ou ceux qui n'étaient pas politiquement identifiés ont disparu de l'opinion publique.
Ce cas s'est répété même pour passer sous silence l'agression qui, le 1° avril 2014, mit en péril la vie de plus de 89 enfants à la crèche du Ministère du Logement à Chacao, une municipalité contrôlée par l'opposition.
Desirée Cabrera, mère d'Anabella (qui avait alors 19 mois) raconte que ce soir-là, des groupes de choc ont bloqué le passage sur l'avenue Francisco de Miranda avec le consentement de la Police de Chacao qui déviait la circulation pour faciliter l'action des violents.
"Ils ont lancé des cocktails Molotov, ont fait éclater les vitres plus ou moins jusqu'au 4° étage de l'immeuble et ont provoqué un incendie dans la mezzanine", raconte Cabrera par téléphone après avoir endormi sa fille. La fumée, rappelle-t-elle, est arrivée jusqu'à la crèche et les parents ont dû sortir avec leurs enfants par une corniche située sur l'arrière de l'immeuble ou par le sou-sol après 6 heures du soir, quad la GNB et les pompiers ont eu réussi à les sauver.
En plus des enfants de la crèche, l'autobus qui transportait les petits de 4 et 5 ans qui étaient à la maternelle du Ministère du Logement à Coche n'a pas pu arriver de jour-là jusqu'à Chacao parce que les activistes avaient barré la rue: "Ils ont dû aller les chercher au milieu de l'autoroute".
"Le jour où ils ont attaqué le siège, ils ont dit: "Nous allons brûler les chavistes" et moi, je me demandais quelle faute avaient fait nos enfants, à nous qui travaillions dans une institution publique ou qui militions dans un parti ou dans un autre".
Après ces faits, les parents ont porté plainte contre le maire de Chacao, Ramón Muchacho, et le juge statua en leur faveur et exigea qu'il protège otus les habitants de cette zone. L'édile du parti de droite Primero Justicia a déclaré qu'il attaquerait cet ordre "sous protestation".
Cabrera est aujourd'hui membre du comité des victimes des guarimbas, une expérience qui lui a enseigné deux choses: à propos des Droits de l'Homme et du lobby international asservissant de l'opposition pour bloquer leurs témoignages devant les organismes multilatéraux:
"C'est que nous, nous n'avons ni les ressources ni les moyens qu'ils ont, eux. Nous sortons d'un organismes où ils disent qu'ils expriment leur inquiétude mais jamais ils ne se prononcent en faveur des victimes et ensuite, ils viennent, eux, et ils sortent les soutenir. Il y a même des organismes qui, si nous leur disons que nous sommes du comité, nous interdisent. Nous étions en France récemment et ils ont été surpris par notre histoire parce qu'ils ne la connaissaient pas".
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La justice vénézuélienne a condamné Leopoldo López à 13 ans, 9 mois et 7 jours de prison pour les délits d'instigation publique à la violence, dommages aux biens, incendie et association de malfaiteurs. Sa femme, Lilian Tintori, a entrepris une onéreuse campagne internationale pour demander sa libération et en même temps faire obstacle o toute initiative du comité des victimes.
La semaine dernière, à sa sortie d'une session de l'Assemblée Nationale contrôlée à présent par les partis de droite, tintori a évoqué les membres du comité: "Que ces victimes qui sont pleines de haine et de rage soient tranquilles parce qu'il semblerait, c'est très clair, qu'elles sont là parce qu'on le spaie pour crier, parce qu'on les met là pour saboter".
La majorité parlementaire débat sur une Loi d'Amnistie qui pourrait libérer non seulement López mais plusieurs responsables de ces 43 morts.
Devant cette possibilité, les victimes sont d'accord: Il n'y aura pas de justice avec l'impunité.
"Je voudrais demander aux mères, aux épouses, aux copains, aux fils des victimes ce qu'ils pensent de cette loi d'impunité parce que c'est ainsi que je l'appelle? Je n'ai pas un nom connu et je n'ai pas d'argent mais je pense que la vie est au-dessus de tout. Et si demain, c'est un membre de ta famille?" demande Yendry Velásquez qui conserve encore, dans le placard, la robe de mariée qu'elle n'a pas pu utiliser.
source en espagnol:
http://www.avn.info.ve/contenido/una-guarimba-mediática-cerca-hoy-v%C3%ADctimas-“-salida”
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