CRISE DES MISSILES Chapitre 1: Une idée audacieuse et inattendue

Publié le par cubasifranceprovence

Ruben G. Jimenez Gomez

 

un jour, Anastas Mikoyan, premier vice-premier ministre de l'URSS, se référant au soutien des dirigeants soviétiques à la Révolution Cubaine, déclara que les communistes de la vieille garde attendaient depuis longtemps qu'un autre pays fasse une révolution socialiste par génération spontanée, puis de façon inattendue, Cuba la réalisa sans qu'intervienne en rien « la main de Moscou », pour cette raison, ils étaient tous comme des enfants avec un nouveau jouet ... Peut-être qu'il n'a pas dit ces mots textuellement, mais c'était le sens.

 

Nikita Kroutchëv ne resta pas indifférent devant la nouvelle Cuba et ses jeunes leaders révolutionnaires. Le Premier Ministre de l'URSS reçevait par différentes voies une large information sur la situation autour de Cuba et était convaincu qu'après la déroute de Playa Giron, les Etats-Unis organiseraient de nouveau l'invasion, pariant seulement sur la victoire en cette occasion.

 

ENTRE CRAINTES ET INTERROGATIONS

 

On n'a pas figé ce moment avec exactitude, les circonstances ni même le lieu dans lequel le leader soviétique prit sa célèbre décision, mais une série d'indices et de publications signalent que cela fut en avril 1962. Dans ses mémoires, publiées entre 1990 et 1995 par la revue « Questions d'histoire », Kroutchëv note qu'il était certain qu'une nouvelle action serait organisée avec de grandes forces ; il pensait également que s'ils utilisaient de nouveau les contre-révolutionnaires, il y aurait avec eux les troupes étasuniennes, mais avec l'uniforme des Cubains. Plus tard, alors qu'on apprenait avec certitude qui avait agi en réalité, déjà le sujet avait été clos. Il pourrait y avoir différentes variantes d'agression, y compris l'invasion directe par les Etats-Unis ou une auto agression sur la Base Navale de Guantanamo. Quel sens aurait après d'avoir tenté d'éclaircir qui avait raison, si déjà Fidel n'existait plus et à La Havane, éait installé un nouveau Batista pour parler au nom du peuple cubain ; le sujet aurait déjà été clos. On voulait seulement faire une condamnation morale, encore que quand quelqu'un se décide pour la force des armes, la morale n'est bonne à rien.

 

Il fallait faire autre chose de plus pour la sécurité de Cuba, mais quoi ? Une déclaration ou un avertissement ? Mais cela n'aurait pas eu beaucoup d'effet sur les agresseurs s'ils n'arrivaient pas à sentir à travers cet avertissement, une force réelle. Il fallait entreprendre une action d'importance. Comment sauver Cuba en prenant en compte la situation géographique de l'URSS , son éloignement par rapport à Cuba et la proximité de celle-ci avec les Etats-Unis? La situation était difficile.

 

Alors, bien... Ces craintes du leader soviétique étaient-elles fondées ? Si nous en croyons Robert Mac Namara, secrétaire à la Défense du cabinet de Kennedy, non. Celui-ci a déclaré que jamais il n'y eut d'intention d'envahir Cuba et il le fit en deux occasions, dans les réunions tenues entre Nord-américains, Soviétiques et Cubains en 1987 et 1992 pour analyser les événements. Mais Pierre Salinger, un des collaborateurs intimes de Kennedy, écrivit dans le journal international « Herald Tribune » : « J'ai un grand respect pour Monsieur Mc Namara, mais son insistance pour dire que les Etats-Unis n'ont jamais eu l'intention d'envahir Cuba fait l'impasse sur les faits... »i

 

Indubitablement, les faits annonçaient une agression, et pendant ce temps , l'Opération Mangouste , dont l'objectif final était l'invasion de Cuba, se développait pleinement. Selon le calendrier approuvé, entre avril et juillet, l'activité clandestine dans l'Ile se renforcerait ; en relation avec ce fait, l'infiltration de groupes d'espions et de spécialistes augmenterait pour créer les conditions qui permettraient d'unifier les organisations contre-révolutionnaires qui agissaient dans le pays , d'entraîner les membres des bandes, celles qui étaient plus de soixante-dix à ce moment-là dans les régions montagneuses, et de recevoir les centaines de tonnes d'armes, de munitions et d'explosifs qui étaient déjà en train d'être introduites par les côtes pour préparer le soulèvement populaire qui avait été planifié. Les activités terroristes et de sabotage augmentaient rapidement ; pour avoir une idée de l'intensité qu'elles atteignirent, il suffit de signaler qu'en seulement quatorze mois, depuis l'approbation de l'Opération par le président Kennedy, en novembre 1961 jusqu'en janvier 1963, 5780 actions contre Cuba furent réalisées, parmi lesquelles 716 furent des sabotages d'envergure contre de grands objectifs économiques ii. C'est à dire, quelques treize par jour, deux d'entre elles de première importance. A cette époque, les événements s'enchaînaientaient intensément, et tous les soirs , les Cubains allaient se coucher sans savoir ce qui pourrait se passer le lendemain.

 

On pense que les premiers plans de mesures contre Cuba, que le Président avait demandé à l'Assemblée des Chefs d'Etat Major, furent présentés à son approbation au début d'avril 1962, ensuite , le 10, Kennedy confirma au chef de bande contre-révolutionnaire Miro Cardona , la disposition de son Gouvernement à résoudre le problème cubain par les armes. En relation avec cela, commencèrent l'entraînement des forces participantes potentielles et la préparation des états majors pour diriger les grandes opérations de débarquement aérien et naval dans des théâtres militaires ressemblant à Cuba . En même temps, la CIA redoublait d'efforts dans la collecte d'informations sur les capacités défensives de Cuba, en particulier celles en relation avec la composition et les possibilités d'armement reçu de l'URSS ; la Marine et les Froces Aériennes nord-américaines aussi intensifiaient l'exploration radio-électrique et aérienne du territoire cubain, tandis que les émigrés qui arrivaient aux Etats-Unis étaient interrogés minutieusement pour trouver des informations utiles sur la situation intérieure de l'Ile.

 

Le 19 commença la manœuvre « Quick Kick » (« Coup de pied rapide ») de l'Armée étasunienne, qui se déroula sur la côte est du pays avec la participation de 300 avions, 83 bateaux de guerre et 40 000 hommes. Kennedy voyagea à bord du porte-avion Entreprise, à propulsion nucléaire, pour inspecter directement la marche des manœuvres, auxquelles participaient, de plus, trois autres porte-avions. La tactique supposée de l'exercice était le renversement d'un gouvernement caribéen hostile aux Etats-Unis et le débarquement maritime qui le termina fut réalisé sur l'île porto-ricaine de Vieques... Clair comme de l'eau de roche !

 

L'INSPIRATION

 

Pendant ce temps, à la mi-avril, selon ce que raconte Fedor Burlatski, qui travaillait au Comité Central et dans l'équipe personnelle de Kroutchëv, le maréchal Rodion Malinovski, ministre de la Défense de l'URSS, se reposait en Crimée, sur les côtes de la Mer Noire, avec le Premier Ministre et lui parla des missiles nucléaires « Jupiter » des Etats-Unis, placées près de là en territoire turc, qui pouvaient atteindre des cibles en URSS en seulement dix minutes, tandis que les missiles intercontinentaux soviétiques, depuis le territoire de l'URSS, mettraient quelques 25 minutes à atteindre leurs cibles aux Etats-Unis. Selon ce récit, Kroutchëv réfléchit quelques secondes et dit qu'ils pouvaient, eux aussi, créer une situation similaire à celle des Nord-américains, en plaçant des missiles nucléaires à Cuba. « Après tout – ajouta-t-il – les Nord-américains ne nous ont pas demandé la permission pour mettre ces armements à côté de la frontière de l'URSS » iii .

 

Ce pouvait être la solution tant recherchée !...

 

Kroutchëv continue en racontant dans ses mémoires qu'il pensa à ce qui arriverait s'il se mettait d'accord avec les dirigeants cubains et installait là des missiles nucléaires. Après avoir beaucoup réfléchi à ce sujet, il arriva à la conclusion que s'il faisaient tout en secret et que les Etasuniens s'en apercevaient quand les missiles seraient déjà en place et prêts pour le combat, ils devraient y regarder à deux fois avant de se décider à attaquer, alors, ce serait affronter directement l'Union Soviétique. Il pensait que cela pourrait arrêter les Nord-américains. De plus, ce ne serait rien de nouveau, en 1957, l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord), avait décidé de placer des missiles étasuniens en Europe contre les intérêts de l'URSS et sans écouter ses protestations ; ensuite Eisenhower conclut un accord avec la Turquie pour installer 15 missiles nucléaires du type « Jupiter » et Kennedy autorisa leur mise en place en 1961 ; iles furent opérationnels en mars ou avril 1962. Ils conclurent également des accords similaires pour installer 30 « Jupiter » en Italie et 60 « Thor » en Angleterre.

 

Les missiles « Jupiter » avaient une portée approximative de 1 500 km, c'est pourquoi ceux qui étaient sur le territoire des Etats-Unis ne pouvaient atteindre le territoire de l'URSS, mais ceux qui étaient en Europe acquéraient un caractère stratégique, car ils pouvaient abattre des cibles dans une grande partie de la zone européenne de l'Union Soviétique.

 

A ce moment- là, Khroutchëv pensait que ce ne serait pas mal de rendre aux Nord-américains la monnaie de leur pièce, ainsi ils pourraient toucher du doigt ce que signifiait cette situation. Les Soviétiques s'y étaient habitués mais les Etats-Unis n'avaient pas eu de guerre sur leur territoire depuis très longtemps . Ils participaient à de nombreuses guerres, mais en s'enrichissant, en gagnant des milliers de millions avec un coût minime en vies de ses citoyens et sans subir aucune destruction dans leur pays... Il pensait à tout cela et peu à peu, ces idées mûrissaient en lui. Il se faisait une opinion personnelle, et arrivait à la conviction qu'il n'était pas possible de garantir la défense de Cuba avec des armes conventionnelles, que seules les missiles nucléaires pouvaient constituer un moyen sûr pour arrêter une possible agression .

 

Il faut signaler que, selon les Mémoires de Khroutchëv, il tint ces raisonnements au mois de mai, pendant sa visite en Bulgarie mais tout indique que cela est arrivé en avril.

 

Les témoins affirment qu' Anastas Mikoyan fut le premier à qui Khroutchëv confia ses idées. A ce sujet, Sergueï, le fils de Mikoyan qui tenait le rôle de secrétaire particulier, écrivit qu'un soir de la fin du mois d'avril, son père émit l'idée d'installer les missiles à Cuba, alors qu'il se promenait avec Khroutchëv du jardin de sa résidence aux collines « Lénine », dans les environs de Moscou. Alors, il croyait que ce pas conduirait à une nouvelle escalade de la tension entre l'URSS et les Etats-Unis , que les missiles seraient découverts avant d'être prêts et que les Nord-américains ne permettraient en aucune circonstance qu'ils soient placés près de leur territoire ; de plus, il pensait que Fidel Castro ne les accepterait pas à cause des risques militaires et politiques qu'impliquait le fait d'avoir des armes nucléaires dans son pays. On affirma aussi qu'au contraire, les idées de Khroutchëv avaient le soutien de Malinovski.

 

LE PROCESSUS D'AUTOSUGGESTION

 

Malgré les arguments contre de Mikoyan, le Premier Ministre soviétique décida de mettre la main à la pâte. Pour essayer de clarifier la position de la direction cubaine, et en premier lieu celle du Commandant Fidel Castro, dans les premiers jours de mai, on décida d'appeler à Moscou le conseiller de l'Ambassade soviétique à Cuba, Alexei Alexeiev, qui, sur la recommandation de Mikoyan, était considéré par celui-ci comme Ambassadeur dans l'Ile. Alexeiev avait été le premier fonctionnaire soviétique qui avait rencontré les dirigeants cubains en octobre 1959, et grâce à ses grandes qualités personnelles, à sa formation professionnelle et à sa connaissance de la langue espagnole, réussit à établir de bonnes relations personnelles avec Fidel Castro, avec son frère Raùl, avec Ernesto Che Guevara et les autres leaders de la Révolution Cubaine.

 

Au moment où Alexeiev se préparait pour son voyage dans sa Patrie, le 3 mai, le Secrétaire Général de l'OTAN déclara que la décision des Etats-Unis de doter l'Organisation d'armes nucléaires pour la transformer en une nouvelle puissance atomique était à l'étude. Trois jours plus tard, l'OTAN annonça que les Nord-américains avaient confirmé leur détermination de fournir des armes nucléaires à l'Organisation, en leur remettant des sous-marins avec des missiles « Polaris », et indiquèrent aussi que les Etasuniens avaient accepté que, peu à peu, la RFA (République Fédérale d'Allemagne) reçoive de l'armement nucléaire à travers l'OTAN. Ces événements ne pouvaient que conforter Khroutchëv dans sa décision.

 

Le 7 mai, Alexander Alexeiev fut nommé nouvel Ambassadeur à Cuba, bien que la nomination ne fut pas publiée tout de suite et que Sergueï Kudriatsev continue à exercer ses fonctions temporairement. Ce jour-là, de plus, le sénateur nord-américain George Smathers plaida pour que le président Kennedy redouble sa politique agressive contre Cuba pour démontrer que les Etats-Unis n'admettraient pas qu'un pays communiste soit accepté dans l'Hémisphère. Le lendemain, les Nord-américains commencèrent dans la région l'opération d'entraînement « Whip Lash » à laquelle participèrent différentes armes avec des dizaines de milliers de soldats, et acheva la préparation d'un autre exercice militaire dans les Caraïbes, nommée « Jupiter Springs », qui était un assaut de parachutistes.

 

Peu après sa désignation, Alexeiev arriva à Moscou et fut invité immédiatement au Kremlin pour une conversation avec Khroutchëv. Dans divers articles et dans ses mémoires, Alexeiev a raconté l'histoire de cette rencontre. Au début de la conversation, le Premier Ministre lui communiqua sa décision de le nommer Ambassadeur à Cuba puis, pendant plus d'une heure, Alexeiev l'informa de la situation sur l'Ile et répondit à de multiples questions sur un large éventail d'aspects ; son interlocuteur parlait avec grande sympathie de la direction révolutionnaire cubaine et était au courant de ce qui se passait là-bas , non seulement par les rapports de l'Ambassade mais par des rencontres avec beaucoup de Soviétiques qui avaient visité Cuba, y compris son fils Rada et son gendre Adzhubei. Comme conclusion de l'entrevue, Khroutchëv lui souhaita bon succès dans sa nouvelle charge et dit qu'il ferait tout son possible pour aider le peuple cubain à défendre ses conquêtes. Pendant cette rencontre, on ne parla pas des missiles, mais le leader soviétique lui dit qu'il l'aviserait pour le rencontrer de nouveau avec d'autres dirigeants.

 

A u milieu du mois, un groupe d'unités militaires nord-américaines menèrent à bien, dans l'état de Caroline du Nord, un autre exercice d'entraînement appelé Demolex (Exercice de Démolition). Tandis que, le 14, Nikita Khroutchëv partit vers la Bulgarie, à la tête d'une délégation dans laquelle se trouvait le ministre des Relations Extérieures d'URSS, Andreï Gromiko. Khroutchëv continue en racontant dans ses mémoires que déjà en Bulgarie, alors qu'il participait à de multiples activités et voyageait à travers le pays, une pensée obsessionnelle lui restait cloué dans l'esprit : qu'en sera-t-il de Cuba ? Arrivera-t-on à la perdre ? Cela aurait été un rude coup qui nous aurait isolés des pays latino-américains et qui aurait sapé notre prestige. Que penseraient-on ensuite d'eux ? L'Union Soviétique, une grande puissance qui n'avait rien été capable de faire pour un allié en danger , à part de vaines déclarations, des protestations et de présenter le problème à l'ONU, comme cela arrive habituellement quand il ne se passe rien. A ce moment-là, la nécessité de mettre en place des missiles nucléaires soviétiques à Cuba pour garantir sa défense s'enracinait fortement dans l'esprit de Khroutchëv, préoccupé par la grande vague de rapports des services de renseignements sur les plans nord-américains pour une nouvelle invasion de l'Ile. Chaque fois, il se convainquait plus du fait qu'il n'était pas possible de la défendre avec des armes conventionnelles ; seules les missiles nucléaires seraient capables de procurer une dissuasion efficace.

 

Des années plus tard, Gromiko a raconté que pendant le voyage de retour à Moscou, le Premier Ministre lui exposa son idée de proposer à Cuba l'installation des missiles atomiques ; à son avis, cela seul pourrait la sauver comme Etat indépendant , car Washington semblait décidé à réaliser une invasion directe. Gromiko mit en avant que les risques étaient très importants et les possibilités de réussites minces.

 

L'EXPOSE

 

Le 21 mai 1962, il y eut à Mouscou une réunion du Conseil de Défense à laquelle fut invité l'Ambassadeur de Cuba, Alexander Alexeiev. Le Conseil était présidé par Nikita Khroutchëv qui, en sa qualité de Chef d'Etat était aussi Chef Suprême des Forces Armées de l'URSS . Y assistaient, de plus, Frol Koslov et Leonid Brechnev, secrétaires du CC du PCUS (Comité Central du Parti Communiste de l'Union Soviétique) ; Nikolaï Kossiguin et Anastas Mikoyan, membres du Présidium du CC (plus tard, le Presidium s'appellera Bureau Politique) ; le ministre de la Défense de l'URSS, le maréchal Rodion Malinovski, son premier substitut, le maréchal Andreï Grechko, et pour le chef de la Direction Politique Principale de l'Armée Soviétique et de la Marine, le général d'armée Epishev. Le premier substitut du chef du EMG (Etat Major Général) et chef de la Direction Principale des Opérations, le colonel général Semion Ivanov, était le secrétaire du Conseil.

 

Dans la réunion, Alexeiev se souvint qu'il répéta les informations qu'il avait soumises à Khroutchëv antérieurement et celui-ci lui posa de nombreuses questions, en particulier sur la capacité défensive de Cuba et sur la décision du peuple et du gouvernement d'opposer une résistance aux pressions nord-américaines. En évaluant la situation politico-militaire existante, les participants à la réunion constatèrent que le potentiel militaire des Nord-américains dépassait de beaucoup les possibilités combatives de l'Armée cubaine ; l'expérience dans la conduite d'actions de combat à grande échelle de ces armées était aussi incomparable. Prenant en compte ces facteurs, il ne pouvait y avoir qu'une conclusion : le peuple cubain n'a aucune possibilité de défendre son pays avec ses propres forces contre une agression des Etats-Unis. Khroutchëv mit en avant que nous ne pouvions pas être sûrs que Fidel Castro vaincrait à nouveau une seconde invasion, car cette fois ils enverraient une grande quantité d'effectifs des Forces Armées des Etats-Unis , quelle que soit la variante qu'ils utilisent et qu'ils débarqueraient simultanément à plusieurs endroits. Il fallait aussi prendre en compte que l'Ile avait plus de mille kilomètres de long mais était très étroite, environ 50 Km à certains endroits, raison pour laquelle elle était très vulnérable aux débarquements maritimes.

 

Ensuite, il demanda à Alexeiev son opinion sur la réaction de Fidel si on lui proposait d'installer des missiles nucléaires soviétiques à Cuba ; celui-ci se montra stupéfait et déconcerté au début devant cette question inattendue, mais il avertit qu'il était peu probable qu'il soit d'accord, car la stratégie défensive de la Révolution était basée sur la volonté combative et l'esprit de sacrifice du peuple, ainsi que sur le soutien des pays non-alignés et d'une large opinion publique mondiale, surtout en Amérique Latine, tandis que l'installation de missiles priverait Cuba de ce soutien et susciterait une perte politique dans l'arène mondiale.

 

En écoutant la réponse, Khroutchëv dit que l'Union Soviétique soutiendrait Cuba dans tous les cas et par tous les moyens possibles, mais qu'il avait des informations dignes de foi au sujet de l'invasion qui se préparait, et qu'on réussirait difficilement à arrêter les Nord-Américains avec des moyens de lutte conventionnels. Il justifia le fait que pour empêcher l'intervention des Etasuniens, il était nécessaire de trouver un moyen de dissuasion qui ferait renoncer les Etats-Unis à la réalisation de leurs plans et qui mettrait Cuba au centre de la politique mondiale. Il déclara que les avertissements et les déclarations en défense de Cuba à l'ONU n'étaient pas suffisants , qu'il fallait employer un moyen de dissuasion qui ferait comprendre aux Nord-américains que s'ils attaquaient Cuba, non seulement ils auraient affaire à un peuple indomptable, mais aussi à toute la puissance militaire de l'Union Soviétique, et il a résumé en disant qu'un semblable moyen de dissuasion ne pouvait être que l'arme nucléaire. Il souligna que cette opération n'avait pas pour but de déclencher une guerre mais seulement de contenir l'agresseur. Il déclara que cette opération devrait être réalisée dans le secret le plus strict pour que les missiles ne soient pas détectés avant d'être prêts pour le combat, de façon que les Etasuniens ne puissent progresser et s'organiser avant le débarquement, il avait bon espoir qu'on puisse transporter et installer les missiles sans que rien ne filtre à ce sujet , jusqu'à ce que tout soit terminé. Il mit en avant sa certitude que les Nord-américains, qui sont des gens pragmatiques , ne se lanceraient pas dans quelque chose qui constituait un risque irrationnel, de la même façon que les Soviétique par conséquent ne pourraient rien faire non plus contre les missiles des Etats-Unis pointés sur l'Union Soviétique depuis la Turquie et l'Italie. (Note de l'auteur : la vie devait se chargerait de démontrer que cette appréciation constituait une sérieuse erreur de calcul). Il déclara aussi que tout devrait être rendu public en novembre, après les élections partielles au Congrès des Etats-Unis, quand il serait en visite à Cuba et participerait à l'Assemblée Générale de l'ONU.

 

Dans ses mémoires, Khroutchëv souligne qu'à la fin de son exposé, il proposa qu'on ne décide pas de cette question en ce moment, car les autres n'étaient pas prêts pour prendre une décision sur une chose aussi importante. Il y aurait une autre réunion dans un bref délai ; pendant ce temps, ils devaient tout bien peser , car une semblable action provoquerait de nombreux événements inconnus et imprévus. Ils cherchaient à assurer la sécurité de Cuba mais ils pouvaient être entraînés dans une guerre et il fallait tenir compte de cela. Si Cuba était détruite, ce serait un rude coup, mais ce serait pire si l'Union Soviétique était détruite et qu'il fallait se rétablir de nouveau. Pour le mouvement communiste international, ce serait un désastre bien plus grand que la perte de Cuba.

 

Le Conseil de Défense décida que la proposition serait mise au point pour être présentée au cours d'une prochaine réunion. Ce même jour, Khroutchëv ordonna au secrétaire du Conseil, le colonel général Ivanov, de préparer la proposition pour installer les missiles à Cuba. Dans son essence, ce document était le plan concis de la future opération. Le contenu de la note à élaborer se réduisait à ceci : en premier lieu, les fondements de la nécessité de renforcer la défense militaire de Cuba, en signalant que dans le but de faire échouer l'invasion en herbe, la partie soviétique envoyait, sur le territoire d'un Etat souverain, un contingent de troupes déterminé ; en second lieu, la note devait contenir , dans les lignes générales, les troupes qui seraient envoyées à Cuba, leur plan de préparation et d'envoi , en signalant les moyens mis en œuvre, les endroits choisis et les exécutants, ainsi que les moyens pour garantir le caractère secret des activités à réaliser.

 

Pour élaborer cette proposition, fut désigné le chef de la direction des opérations, le major général Anatoli Gribkov. Le major général Eliseiev et le colonel Kotov furent également inclus dans le groupe de travail. Ils commencèrent tout de suite à travailler, sous la direction du colonel général Ivanov, et finirent dans la nuit du 23 la version initiale de la proposition pour créer un Regroupement de Troupes Soviétiques sur l'île de Cuba, dont la mission était de coopérer avec les Forces Armées Révolutionnaires (FAR) pour empêcher l'agression ennemie.

 

(A suivre)

 

(traduction Françoise Lopez)

i1) Salinger Pierre « Kennedy and Cuba, the Pressure to Invade was Fierce ». Journal international « Herald Tribune » , 6 février 1989.

iiDemanda del pueblo de Cuba al... Ob. Cit., P;22

iiiGarthoff, Raymond L. Reflections on the Cuban Missile Crisis. Edicion revisada. The Brookings Institution, Washington, DC, 1989, p. 12.