Cuba: LE BLOCUS EST TOUJOURS INTACT
A 53 ans de la signature du Décret 3447 par le président John F. Kennedy, le 3 février 1962 et de l'entrée en vigueur le 7 février de la déclaration officielle du blocus contre Cuba, Granma a discuté avec le professeur Rodolfo Dávalos de cette politique d'agression, toujours d'actualité.
par Sergio Alejandro Gómez
traduction Françoise Lopez
"La majorité des Cubains soutient Castro". C'était l'opinion du Département d'Etat nord-américain, du Conseil de Sécurité Nationale et de la CIA à peine un an après le triomphe de la Révolution. Philip W. Bonsal, le dernier ambassadeur étasunien à La Havane aurait conclu la même chose rien qu'en se penchant à la fenêtre de son bureau.
Dans un mémorandum secret daté du 6 avril 1960, le sous-secrétaire aux Affaires Inter-américaines, Lester D. Mallory, affirmait que la seule possibilité d'enlever le soutien dont ils jouissaient aux leaders rebelles était la déception et l'insatisfaction qui surgiraient de la gêne économique et des difficultés matérielles. "Il faut employer rapidement tous les moyens possibles pour affaiblir la vie économique de Cuba (...) la priver d'argent et d'approvisionnement pour réduire ses ressources financières et les salaires réels, provoquer la faim, le désespoir et le renversement du Gouvernement".
Pendant plus d'un demi-siècle et 11 administration étasuniennes, le blocus économique, commercial et financier imposé par les Etats-Unis à Cuba a manqué son but. Cependant, ses préjudices économiques se montent à plus d'un million de milliards de dollars et leur impact sur la vie quotidienne de 11 millions de personnes est incalculable. 7 Cubains sur 10 n'a rien connu d'autre.
Le président des Etats-Unis, Barack Obama, a appelé récemment le Congrès à commencer le travail pour mettre fin au blocus, suite au changement de politique envers Cuba annoncé le 17 décembre dernier.
Le Général d'Armée Raúl Castro a déclaré clairement dans son intervention lors du III° Sommet de la CELAC que bien que les deux pays avancent dans le rétablissement des relations, la normalisation des relations sera impossible tant que cette politique sera en vigueur.
Pour mieux comprendre comment est né, ce qu'est et comment pourrait arriver la fin du blocus, Granma a interrogé Rodolfo Dávalos, professeur titulaire à la Faculté de Droit de l'Université de La Havane et président de la Cour Cubaine d'Arbitrage Commercial International.
- En quoi consiste essentiellement le blocus des Etats-Unis contre Cuba?
- C'est un écheveau complexe pseudo-légal composé de différentes normes avec différentes hiérarchies qui vont de simples proclamations jusqu'à d'autres de plus haut rang comme les dispositions gouvernementales et les lois.
Il y a au moins 12 dispositions juridiques qui forment la structure légale du blocus.
Certaines sont restées sans effet ou ne sont pas entrées en vigueur comme la Proclamation No. 3355 de 1960 qui réduit le quota de sucre assigné à Cuba sur le marché étasunien pour cette année-là et la suivante.
La Loi d'Assistance à l'étranger de septembre 1961 fut la première à inclure des chapitres spécifiquement destinés à Cuba. Curieusement, cette loi donna lieu à la création de l'Agence des Etats-Unis pour le Développement (USAID) qui est finalement devenue un outil de subversion contre notre pays et beaucoup d'autres nations du monde qui ne répondent pas aux intérêts des Etats-Unis.
Mais c'est la Loi sur le Commerce avec l'Ennemi de février 1962, le Décret 3447, qui établit ce qu'ils ont appelé un "embargo sur le commerce avec Cuba" mais qui, dans la pratique, est un blocus. Du point de vue juridique, elle établit la classification de notre pays en tant qu'ennemi des Etats-Unis.
Cela permet au président d'utiliser l'échafaudage légal du commerce dans des situations d'urgence ou de guerre. Ainsi, contre Cuba s'applique la Export Control Act (Loi de Contrôle des Exportations) de 1949. Promulguée en pleine guerre Froide, cette loi établit le régime particulier d'intervention des Etats-Unis dans le commerce international et dans le commerce extérieur des pays tiers. Ses possibilités se sont élargies ensuite avec la Loi d'Administration des Exportations de 1979.
Ensuite sont venues d'autres lois comme la Loi Torricelli de 1992, qui entre autres choses, a réduit notre commerce avec les filiales des compagnies nord-américaines établies dans des pays tiers. De même, en 1996, la Loi Helms-Burton a élargi de manière inédite les dimensions extra-territoriales du blocus et codifié totalement le concept de "changement de régime" et la possible intervention directe pour le concrétiser.
- Quels buts poursuit-il?
- Il cherche l'isolement international de l'Etat cubain, l'asphyxie économique de son gouvernement et de son peuple, l'immobilité du commerce extérieur du pays, à décourager ou à empêcher les investissements étrangers, tout cela dans le but de pousser le peuple à manquer à son engagement de construire une société juste, dans un pays libre, indépendant et souverain. C'est à dire qu'il cherche la fin de la Révolution.
- Et comment peut-on qualifier du point de vue légal et juridique une politique avec ces caractéristiques?
- Précisément, un étudiant m'a posé une question similaire il y a quelques années et cela a été une de mes motivations pour écrire le livre "Embargo ou blocus? L'instrumentalisation d'un crime contre Cuba".
Dans ce texte se trouve la réponse que j'ai donnée à sa question pour savoir comment un acté établi légalement par un Etat souverain pouvait être illégal: "Pour qualifier juridiquement le blocus, il faut dire qu'en tant que moyen qui poursuit une fin, c'est un acte de guerre économique qui a pour but de soumettre le peuple cubain par la faim, d'asphyxier la Révolution. Par ses fins, ses propositions et ses conséquences, c'est, sans doute, un acte illicite international. Par sa forme juridique, c'est un ensemble d'actes qui dépassent les possibilités d'un Etat qui fait partie de la communauté internationale. Le blocus est, en résumé, un acte de guerre dans une robe de Droit. C'est, juridiquement parlant, un crime. Parce qu'un crime est ce qui est injuste, illégal et inhumain.
- En plus, dans son application, il dépasse les frontières des Etats-Unis...
- Il est important d'éclaircir ce point. Il existe certaines catégories de lois qui peuvent avoir une efficacité extra-territoriale. Mais cela ne veut pas dire qu'un Etat a la possibilité d'édicter des lois pour gouverner dans un autre pays, étant donné qu'en dernière instance, c'est l'Etat lui-même dans l'exercice de sa souveraineté, le seul qui puisse déterminer les lois qui régissent son territoire.
Cela n'est pas très compliqué. Les Etats édictent des lois pour leur territoire et aussi pour leurs ressortissants. Mais aucun Etat n'est au-dessus d'un autre.
- Pourquoi la différence entre embargo et blocus est-elle si importante?
- Ce n'est pas une discussion sémantique, c'est un concept. Embargo est un terme juridique fréquemment utilisé dans le monde juridique alors que blocus implique un acte de guerre qui est illégal.
La loi internationale, en particulier la Charte de l'Organisation des Nations Unies et le Droit International en général établissent l'obligation des etats de recourir aux moyens pacifiques pour résoudre les différends internationaux et formulent catégoriquement l'interdiction de l'usage de la force comme la guerre, l'agression et tout autre moyen coercitif parmi lesquels se trouve le blocus.
Tandis que le blocus, c'est la rétention ou la saisie de biens par mandat judiciaire. Cela peut être préventif pour assurer les biens objets d'un litige ou d'une plainte et exécutif pour l'adjudication ou la vente forcée des biens pour recouvrer une dette justifiée légalement.
Une fois, j'ai pris un exemple pour expliquer à un avocat cubano-américain qui insistait pour appeler embargo le blocus, dans une manifestation internationale. Je rappelai son goût pour le basket et posai un livre sur la table, je m'arrêtai en face et je dis: "essaie de le mettre sur le bureau qui est derrière moi. Comme il était plus petit, il ne put pas le faire. Alors, je lui demandai comment s'appelait cette action au basket. Il me répondit: bloquer." Car c'est exactement ce que font les Etats-Unis à Cuba, ils ne la laissent pas mettre de panier.
- Qu'est-ce qui a changé en 1996 avec la Loi Helms-Burton?
- Cette loi attribue la catégorie d'acte législatif supérieur à toute la structure juridique qui jusque là avait été promulguée pour bloquer Cuba.
La Loi Helms-Burton est extra-territoriale dès son début même, dans le sens clair de l' extra-territorialité arbitraire, excessive et par conséquent illégale. Elle introduit dans son Chapitre III le concept de trafic pour ceux qui font du commerce avec des propriétés nationalisées par la Révolution et même pour ceux qui participent à une activité commerciale qui utilise une propriété confisquée. Il n'y a pas besoin d'être expert en Droit pour savoir qu'aucun Etat n'a ce pouvoir.
En fait, elle a provoqué une telle condamnation internationale que certains pays ont promulgué des lois antidotes pour pallier son application.
De plus, la Loi limite les possibilités que leprésident avait historiquement pour autoriser des activités commerciales avec l'ennemi, pour empêcher ou rendre difficile l'atténuation, la modification ou la suppression des mesures comprises dans ses termes.
Cette codification du blocus établit des limites au Pouvoir Exécutif pour conduire la politique extérieure et transgresse les normes légales des Etats-Unis en plus de violer le Droit International. Bien qu'elle laisse des possibilités d'appliquer ou non certains chapitres.
- Dans ce cas, quelles sont les prérogatives du président pour changer la politique envers Cuba?
- Malgré la Loi Helms-Burton, le président conserve de grandes possibilités, suffisantes pour démanteler beaucoup des obstacles qui empêchent le commerce et les relations avec Cuba.
Comme cela a été démontré avec les mesures annoncées le 17 décembre dernier, Obama peut rétablir des relations diplomatiques et élever au rang d'ambassade l'actuel Bureau des Intérêts. Il peut étendre substantiellement les voyages des Etasuniens et des étrangers résidant dans le pays par une interprétation large des 12 catégories établies par la loi. Cependant, il ne peut pas rendre libres les voyages touristiques à Cuba. Ilpeut éliminer ou augmenter le montant des dépenses associées aux visites, faciliter l'utilisation des cartes de crédit et de retrait et des chèques de voyages ou élargir la liste des aéroports qui peuvent organiser des vols vers Cuba, parmi beaucoup d'autres choses.
En résumé, le président ne peut pas lever le blocus mais peut faire beaucoup pour améliorer les relations entre les deux pas.
- Dans quelle situation est le blocus après les annonces du 17 décembre?
- Le blocus est intact.
Cependant, il y a une partie morale et éthique qui se détache de ce qui est en train de se produire. Le blocus est un acte de guerre et tu ne eux mener à bien cette sorte d'agression contre despays avec lesquels tu conserves des relations.
De plus, établir des relations diplomatiques implique d'accepter de se conduire conformément au Droit International et le respect réciproque des normes et des principes qui régissent les relations entre les Etats. Il faut respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale et le droit de choisir notre propre système politique et oscial.
Selon mon opinion personnelle, ces pas indiquent que le blocus doit cesser parce que moralement, il ne s'appuie sur rien. Cette discussion doit arriver au Congrès et démonter toute la structure légale qui le soutient.
Rien qu'en pensant au respect de la souveraineté des Etats et au respect du Droit International, le blocus doit être levé. nationale
Source en espagnol:
http://www.granma.cu/mundo/2015-02-05/el-bloqueo-aun-esta-intacto
URL de cet article:
http://cubasifranceprovence.over-blog.com/2015/02/cuba-le-blocus-est-toujours-intact.html