Cuba: LA MAFIA, LES PARRAINS, LES SORCIERES OU LES TELENOVELAS A LA RESCOUSSE DU CAPITALISME

Publié le par cubasifranceprovence

Par Ana María Radaelli* (La polila cubana)

traduction Françoise Lopez

"Ils étaient bons, tous s'aimaient bien et s'aidaient, ils avaient fait quelque chose comme une fraternité, vous m'entendez? C'est vrai que le commerce était celui de la drogue et bon, sortir de la misère n'est pas facile..." "Oui mais un d'entre eux a trahi, avez-vous remarué qu'il y en a toujours un qui trahit?" "C'est logique et c'est là qu'ils se sont divisés et ont formé le cartel du Nord et le cartel du Sud et la guerre a commencé, le massacre, les enlèvements..." "C'est bien mais remarquez qu'entre eux, ils continuent à être bons..."

Difficile de ne pas écouter, impossible de rester plongée dans le livre que j'avais amené pour rendre moins pénible cette visite toujours repoussés au coiffeur de mon quartier quand la chaleur redouble et que les cheveux poussent sans rime ni raison.

Je ne nie pas avoir été en état de choc quand, déjà sans détour, je me suis mise à écouter très attentivement, la conversation qui semblait tellement passionner le groupe de femmes réunies ici, des jeunes et des beaucoup moins jeunes, qui, entre teintures et coupe de cheveux, commentaient avec un véritable enthousiasme la narco-telenovela1 de service comprise dans le déjà célèbre paquet hebdomadaire. Oui, narco-telenovela, cette catégorie semblant déjà établie à la télévision et pas seulement à la télévision latino-américaine. Là, on parle de fêtes grandioses, de beaucoup de champagne et de mets succulents, de mâles forts et beaux, de femmes belles, prostituées, c'est clair, mais vêtues et parées comme des déesses, de manoirs et de piscines et de liasses de billets volant de main en main...

Je rentrai chez moi le coeur gros, dans un volettement d'images qui brillaient par leur absence: celles que personne n'a mentionnées parce qu'évidemment, elles ne se trouvent pas dans la série mais surtout celles auxquelles, apparemment, personne n'a pensé... Des images qui mettraient à nu l'horreur qui se cache sous le mot de drogue: des milliers, des millions d'êtres humains réduits à la misère physique et spirituelle des démunis de tout jusqu'aux derniers vestiges de leur condition humaine... des loques qui se traînent et meurent comme des rats dans les rues de New York, San Francisco, Paris ou Buenos Aires bien que le sujet ne soit pas l'apanage des grandes villes, bien sûr que non, toutes victimes d'un commerce transnational qui génère des milliers et des milliers de millions de bénéfices annuels, des mafias infiltrées dans plus d'un gouvernement, peut-être ne parle-t-on pas déjà de "narco-Etats"? qui s'infiltrent par n'importe quelle fente ouverte que leur laisse le capitalisme pourri et corrupteur qui domine le vaste monde, et même, faut-il le dire, des médias de masse de désinformation.

Ignorer que Cuba est l'objet d'une guerre culturelle qui n'a et n'aura jamais de trêve, c'est commettre le délit de stupidité, dirait Galeano. Que la culture de l'avoir semble - plus tard et soudain - renverser la culture de l'être non seulement doit nous bouleverser d'angoisse mais aussi nous faire réfléchir... et réagir.

3 Je parle de guerre culturelle parce que j'entends que ce concept comprend l'idéologique et le politique et certaines choses de plus qui me semblent essentielles", signale le prestigieux intellectuel cubain Enrique Ubieta et il l'explique ainsi:

"Il en s'agit pas de la msimple lutte pour le pouvoir: ce n'est pas une guerre entre des personnes qui sont pour ou contre un gouvernement. Il s'agit d'une guerre entre des personnes qui sont pour ou contre un système qui implique aussi une perception culturelle du monde, une façon de comprendre le concept de bonheur aussi biend ans la vie personnelle que collective.

alors, ce qu'ils veulent changer en nous, c'est l'esprit. ils veulent que la société cubaine change sa manière de penser, ses idéaux, ses attentes, ils veulent contruire un processus de changements peu à peu dans l'esprit des Cubains qui nous conduise, sans que la chute du gouvernement soit nécessaire, au capitalisme."

Après mon amère expérience chez le coiffeur, pouvais-je m'étonner de connaître certains détails sur l'essor qu'a pris parmi nous la célèbre Nuit des Sorcières, le Halloween nord-américain hérité d'ancêtres celtes mais, semble-t-il, avec une énorme vocation caribéenne?

Ce texte, écrit par un personnage aussi sinistre qu'Allen Dulles, un officier de haut rang du Bureau des Services Stratégiques, un organisme précurseur de l'Agence Centrale de Renseignement (CIA) et présent à la création de cette dernière où il servit 8 ans come directeur, me semble très à propos.

"Nous devons arriver à ce que ceux que nous agressons nous reçoivent à bras ouverts mais nous parlons de science, d'une science pour gagner dans un nouveau domaine: l'esprit des hommes. Avant les porte-avions et les missiles arrivent les symboles, ceux que nous vendrons comme universels, glamour, modernes, symboles de l'éternelle jeunesse et du bonheur infini.

"Le but final de cette stratégie à l'échelle de la planète est de battre sur le terrain des idées les alternatives à notre domination par l'aveuglement et la persuasion, la manipulation de l'inconscient, l'usurpation de l'imaginaire collectif et la recolonisation des utopies rédemptrices et libertaires pour obtenir une chose paradoxale et inquiétante: que les victimes arrivent à comprendre et à partager la logique de leurs bourreaux".

Pendant ce temps, la TV cubaine, qui n'est pas la pire au monde, continue , infatigable, à nous proposer des films "pour les jeunes" joués par de sveltes jeunes filles blondes et de beaux adonis aux yeux bleus qui vont au collège dans leur voiture, avec beaucoup de drapeaux nord-américains flottant aux environs et au lointain, ceux-là même qui flottent sur l'horreur, la mort et la destruction en Irak, en Afghanistan, en Libye, et la liste est longue, sans oublier les séries de "suspens" dans lesquelles des policiers sans tache et de vaillants membres du FBI sont bons dans l'absolu bien qu'ils aient la mauvaise habitude de pratiquer comme leur sport favori la chasse et l'assassinat de noirs dangereusement sans armes et aussi la chasse et l'assassinat des latinos, que nous sommes... Et que dire des vidéo-clips très cubains, beaucoup d'une vulgarité terrifiante, débauche de bars de luxe et de belles femmes pathétiquement dévêtues dans leur rôle séculaire d'objet sexuel. Dans un pays comme Cuba!

Devrons-nous, obligatoirement, comme disait notre Eduardo Galeano, garder le pessimisme pour des temps meilleurs? Ou au moins, comme me le conseillait un excellent ami, le brillant écrivain et essayiste cubain Luis Toledo Sande**, lancer le cri dans le ciel quand on ne trouve pas autre chose qui soit digne d'être fait?

*Journaliste et écrivain argentine résidant à Cuba.

**Voir, de cet auteur le titre le plus récent: “Detalles en el órgano (cuerdas y claves en la Cuba de hoy)”, Ediciones Extramuros, 2014.

NOTE:

1Une telenovela est un feuilleton, en général brésilien dont l'action se situe dans un "monde idéal" où rien ne manque et surtout pas l'argent...

Source en espagnol:

https://elblogdelapolillacubana.wordpress.com

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