Cuba: A André Chassaigne et Serge Legendre
par Françoise Lopez
Si nous avons choisi de mettre le texte d'André Chassaigne sur notre site, c'est bien évidemment, que nous sommes d'accord dans l'ensemble avec son point de vue et surtout sur la nécessité de fournir aux défenseurs de Cuba des arguments à opposer à ceux qui disent que Cuba est une dictature.
Pour autant, je souhaiterais nuancer quelques détails.
La bureaucratie paralysante au service d'une centralisation excessive.
Sergio fait de ce problème une question de théorie. "Là on touche à un des problèmes de la construction du socialisme qui n'est pas facile à résoudre, tant c'est intégré dans le système", écrit-il. Moi, je n'irai pas si loin sans doute parce que je connais beaucoup moins bien que Sergio la théorie marxiste mais je me demande pourquoi un système socialiste éprouve le besoin impérieux de cette "centralisation excessive". Quand nos projets n'aboutissement pas à Cuba, on nous a souvent objecté que c'était parce que nous n'avions pas suivi la bonne filière. Et c'est vrai que dans ce système, les règles ne peuvent pas ne pas être scrupuleusement suivies, ce qui bloque des projets parfois pour des points de détails sans aucune importance réelle. Alors pourquoi? Une des craintes justifiées de ceux qui mettent en place des systèmes socialistes, c'est de voir surgir la même corruption que dans les systèmes capitalistes. La centralisation est sans doute un moyen pour éviter les dérives. Parfois, elle est sans doute excessive et bloque le fonctionnement des choses. Elle n'est pas non plus totalement efficace pour éviter la corruption mais il n'en reste pas moins que, si la corruption zéro n'existe pas (pas plus à Cuba qu'ailleurs), ce que les Cubains nomment "corruption" dans leur pays n'a rien à voir avec la corruption endémique que l'on observe dans les pays d'Afrique et qui fait quasiment partie intégrante du système.
Donc, mon avis sur ce point est plutôt qu'il s'agit d'une précaution appliquée peut-être avec trop de rigueur que d'un problème de fond mais ce ci n'engage que moi.
De l'absence de motivation due à un collectivisme stérilisant les énergie.
Là, je poserai une autre question. Le Che a naturellement raison quand il dit qu'on ne peut pas construire un système socialiste en utilisant des éléments du capitalisme mais est-il possible de n'utiliser QUE des éléments du socialisme dans un monde dans lequel la plupart des pays sont des pays capitalistes avec lesquels on est obligés d'avoir des relations commerciales. Est-ce que Cuba n'est pas tombée dans ce piège? N'est-elle pas seulement victime du système majoritaire qui, qu'on le veuille ou non, impose aux minorités sa façon de fonctionner? Les seules structures qui pratiquent le commerce solidaire sont les mécanismes d'intégration latino-américaine tels que l'ALBA ou la CELAC pour la raison même qu'ils fonctionnent tous selon un système anticapitaliste même si ce n'est pas toujours un système socialiste.
Et puis il y a le blocus, qu'André Chassaigne évoque d'ailleurs dans son texte, qui pèse d'un poids énorme sur l'économie cubaine, rend plus nécessaire encore la collectivisation des moyens de production et des richesses nationales mais bloque le fonctionnement d'un tas de choses et rend souvent stériles les efforts des Cubains pour améliorer la production.
- Obsession des autorités qui fait de tout opposant un espion américain.
Là, il ne faut pas oublier que Cuba a pratiquement toujours eu, d'une façon ou d'une autre, les Américains sur le dos. Obsession? Peut-être mais on sait quelles sommes colossales les Américains consacrent à fomenter un changement de régime à Cuba et on peut se demander, du coup, s'il y avait une véritable opposition basée sur les convictions politiques et non sur le mercenariat, si les Etats-Unis auraient besoin de consacrer tant d'argent pour obtenir de si piètres résultats...
Dans Z, le film de Costa Gavras, l'avocat disait: "Il faut toujours s'en prendre aux Américains, si on ne sait pas pourquoi, eux, ils le savent". Bien sûr, ça a l'air d'une boutade mais quand on lit le livre de William Blum "Les guerres scélérates" qui liste tous les coups tordus réalisés par les Etats-Unis depuis 1945, on sait que tout est possible et on se demande parfois si en imaginant que tout est possible, on n'est pas encore en-dessous de la réalité...
Culte excessif des figures légendaires que sont Fidel Castro et davantage encore Che Guevara.
Là se trouve mon seul point de désaccord avec André Chassaigne. Je ne pense pas que le "culte des figures légendaires que sont Fidel Castro et davantage encore Che Guevara" soit excessif. Sergio a raison de dire en substance que le PCF n'a dans ses rangs aucune figure qui puisse soutenir la comparaison avec ces 2 géants. Peut-être le manque d'enthousiasme du Parti pour ces grands socialistes s'expliquerait-il en partie par une part de jalousie et le dépit de n'avoir pas su attirer dans ses rangs de tels héros?
Mais je crois plutôt qu'André Chassaigne réagit là plus en Français qu'en Communiste. Il y a bien longtemps que l'extrême droite, en France, s'est emparée du nationalisme et même du simple patriotisme. Les hommages rendus par les Cubains à leurs grands hommes nous semblent souvent, à nous, Français, grandiloquents et excessifs. Il faut ajouter à cela que nous n'avons jamais eu, en France, un président de la République qui ait avec le peuple français la relation que Fidel a su établir avec le peuple cubain. Et il nous est donc difficile de comprendre cette relation et la façon dont elle s'exprime. Nous appelons cela "culte de la personnalité" alors que pour un cubain, il ne s'agit que d'estime, de respect, de reconnaissance envers des hommes qui ont rendu à ce peuple si longtemps humilié toute sa dignité.
Pour le reste, André Chassaigne aborde bien les problèmes qui se posent en particulier avec la normalisation des relations avec les Etats-Unis. Il ne s'agit pas de dire que Cuba est un paradis mais que ce n'est pas une dictature.
Par contre là est peut-être la faiblesse de ce texte: il ne précise pas ce qu'est une dictature et en quoi Cuba n'en est pas une.
Dictature : concentration de tous les pouvoirs entre les mains d'un individu, d'une assemblée, d'un parti, d'une classe (Robert). Donc, il faudrait là évoquer rapidement le système électoral cubain dont André Chassaigne dit seulement qu'il ne génère pas "une abstention massive" et que les élus sont révocables à tout instant. Le vote n'est pas obligatoire. Il débute dans les comités de quartier, continue dans les assemblées locales, provinciales puis nationales. Les candidats ne font pas campagne mais sont proposés par les habitants du quartier pour leurs qualités. Ils ne font pas connaître leur programme mais leur CV, c'est à dire non ce qu'ils promettent mais ce qu'ils ont déjà réalisé. Le Parti ne propose pas de candidats. Régulièrement, les élus doivent rendre des comptes à leurs électeurs qui peuvent les révoquer à tout instant, comme l'a dit André Chassaigne, mais cela reste rare.
Raùl Castro, comme l'avait été Fidel, a été élu d'abord comme député puis, par les membres de l'Assemblée Nationale, comme membre du Conseil d'Etat et enfin par les membres du Conseil d'Etat comme président de la République. C'est ainsi que sont toujours élus nos maires (par le conseil Municipal qui a été élu lors d'un scrutin de liste) dont personne n'oserait dire que ce sont des dictateurs...
Françoise Lopez
31 juillet 2015
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