Cuba-Venezuela: Le rêve en construction d'un grand homme
Le rêve en construction d’un grand homme
Portés par une éthique aussi élevée que l’altitude du chantier où ils travaillent, des Cubains participent à la construction, dans les montagnes accidentées, de la ville rêvée par le commandant Hugo Chavez
Auteur: Dilbert Reyes Rodríguez | dilbert@granma.cu
23 octobre 2015 15:10:51
Photo: Dilbert Reyes Rodríguez
CIUDAD CARIBIA, Vargas, Venezuela.— Il y a un moment dans la nuit, avant d'aller se coucher, rompu de fatigue, où Reynaldo Montero préfère être seul pour fumer une cigarette et profiter du silence et de la brise de la montagne, tellement différents du bruit et de la chaleur de ses journées de travail.
Dans le campement, presque tout le monde dort, et presque tous d’un sommeil agité, dominé par les images de la journée : les nuages de poussière permanente, le ronflement des camions chargés de terre qui grimpent la colline, le vrombissement des bulldozers qui défrichent la montagne jusqu’au bord d’un précipice impressionnant.
C’est sans doute la raison pour laquelle « Havane » – comme cet ouvrier de la construction de Guanabacoa a été surnommé – se réserve ces instants de paix pour calmer les tensions et se laisser porter pendant un moment par les souvenirs de Cuba, de sa famille, en pensant aux mois qu’il a passés au Venezuela.
Il en est à sa deuxième mission ici, un point central enclavé à environ 700 mètres d’altitude dans les hautes montagnes qui séparent le grand Caracas du littoral de Vargas, où se trouve l'aéroport international Simon Bolivar, l’entrée principale du pays
Il faut y aller ou survoler la zone pour admirer la ville que les Cubains aident à construire dans ce lieu sauvage, difficile, dangereusement élevé, appelé Ciudad Caribia, parce qu'il était occupé par des populations aborigènes à l'époque précolombienne. Caribia signifiant Chemin des Indiens.
Cela ressemble à une guerre d’altitudes et de contrastes entre la nature et la volonté de l'homme. D’un côté, les sommets arides de la cordillère, de l'autre des bâtiments modernes, qui se font concurrence pour atteindre les nuages, et dans son ensemble, une ville écologique qui donne forme progressivement à l'un des rêves les plus chers du commandant Hugo Chavez.
UNE SURPRISE DANS LA NUIT
Reynaldo connaît bien ce rêve, car en 2009, quand tout ici n’était encore que « montagnes et couleuvres », comme ils ont coutume de dire ici, il avait déjà l’habitude de sortir pour fumer et réfléchir au milieu de la nuit, avant d’aller se coucher.
« Pensant que j’étais seul, j’ai eu une frousse terrible quand soudain une voix forte a brisé le silence: "Il n’y a donc pas de Cubains ici ?" Tu sais quoi, j’ai failli avaler ma cigarette, c’était Chavez, mon pote.
« J’ai prévenu les gens et tu peux t’imaginer l’agitation. Tout le monde s’est précipité pour le voir, lui parler, se prendre en photo avec lui avec lui. Il marchait avec nous et nous interrogeait sur les moindres détails, sur les conditions de travail et de vie. Il nous manquait certaines choses, et bien le lendemain, sur ses ordres, tout a été réglé.
« Il nous a raconté comment lui était venu l'idée de construire cette ville ici, chaque fois qu’il passait en avion au dessus de la région. Il disait qu'il voulait montrer au monde qu’il était possible de construire une ville entièrement socialiste, et qu’il a toujours pensé aux Cubains pour réaliser ce projet », raconte Reynaldo.
Le chauffeur Reinier Gutiérrez n'y était pas à cette époque, mais il était tellement intéressé par l'histoire de la ville qu’il a décidé de l'étudier en détail. « On raconte que Chavez est venu cette nuit-là parce que la personne qui l'accompagnait lui a demandé quand il pourrait connaître Cuba. Et Chavez de répondre : "Tout de suite…" ». Il est monté dans une jeep et il a conduit jusqu’au chantier où se trouvaient les constructeurs
« C’est sûr, Chavez voulait prouver quelque chose avec Ciudad Caribia, obtenir une grande communauté socialiste autosuffisante, avec des fabriques d'aliments, des centres de services, des écoles, des hôpitaux, ses règlementations urbaines…
« Cet endroit le passionnait, il disait qu'il était parfait, juste entre la capitale et la mer, et il souhaitait y avoir sa maison quand il ne serait plus président. »
« Ici, il a fait l’une des émissions « Allo Président », et il est venu poser la première pierre. Ensuite, nous, les constructeurs cubains, nous avons posé les autres, et voilà le résultat... »
DÉVORER LES MONTAGNES
Photo: Dilbert Reyes Rodríguez
L’essentiel, c’est de ne pas perdre de temps, comme si la montagne qui a été débarrassée de ses collines pour devenir une terrasse pouvait ressurgir et redevenir une colline.
C’est pourquoi, là où le terrain est prêt, on commence à construire des édifices et, une fois terminés, des gens modestes, du peuple, viennent y habiter, et depuis leurs nouveaux balcons, ils peuvent voir le travail démarrer de zéro, sur la montagne d’en face.
De nombreuses familles se réveillent avec le ronflement des engins de la brigade de terrassement dépendant de l’Entreprise mixte de construction de l’Alba bolivarienne : une flottille de pelleteuses, de bulldozers, de niveleuses et de camions conduits par des Cubains qui partent dès le matin pour « dévorer la montagne », mordre les pentes abruptes et préparer les fondations des nouvelles constructions, des voies d’accès.
Reynaldo conduit l’un de ces engins, de même que Juan Martinez, qui vient de Pinar del Rio et qui connaît les risques et les dangers, parce qu’il les a déjà vécus sur son camion.
« Le terrain change beaucoup, il y a des montagnes rocheuses et d’autres d’argile meuble. Il faut être très attentif, parce que parfois la couche de poussière est épaisse et le camion patine dangereusement à quelques centimètres seulement d’un ravin vertigineux.
« Un jour, j’ai crevé un pneu avant en descendant une pente très inclinée. J’ai dû faire preuve de toute mon expérience pour freiner cet engin, mais on finit par s’habituer à toutes ces embûches, et comme la peur n’a pas sa place, pas moyen de reculer », ajoute-il, sans façon
Juan Emilio Cutiño, âgé de 64 ans, a une expérience de 37 ans sur un camion benne. « J’en ai bien eu besoin pour faire face à ces pentes terribles. Figurez-vous que je suis de Las Tunas, et là-bas, il n’y a rien de tout cela, mais ce qui compte, c’est d’être sans cesse attentif au contrôle de l’engin et avoir du métier, respecter les normes et éviter les risques réels.
« Il y a quelque temps, un glissement de terrain a presque recouvert un camarade dans son bulldozer. Lorsque l’on flirte toujours si près du bord de la montagne, avec un nuage de poussière qui empêche de bien voir, on est toujours exposé au danger, mais tant que l’on fera bien notre travail, avec soin, rien ne nous freinera. »
Juan Emilio est l’un de ceux qui transportent la terre retournée dans les camions, l’un après l’autre, pour laisser le sol aussi plat qu’une assiette, selon les cotes des topographes. N’importe lequel d’entre eux – José Breijo, Víctor Hugo o Pablo Napoles –ou les trois ensemble, a toujours un œil sur les travaux depuis les hauteurs, vérifiant les mesures ou calculant la prochaine coupe dans la montagne.
Les camions ne cessent de monter et de descendre, mais quand ils s’éloignent, Juan Emilio prend toujours un moment pour couper le moteur et rester dans sa cabine, seul avec ses pensées, grimpé dans les nuages qu'il n'a jamais pu atteindre à Las Tunas, et il reste là à regarder la mer à distance.
Il sait que l'Île est là-bas dans le lointain, ainsi que sa chère famille et ses petits enfants, qui lui manquent tant.
« Parfois, de là-haut, la nostalgie est plus forte, mais on sait que l’on doit terminer, vaincre les risques et terminer, parce que si on est venu ici, ce n’est pas pour faire le travail à moitié, et il faut respecter ses engagements. »
L’un des camions revient et il faut démarrer. « Allez, mon vieux, on y va ! », crie Yunier Galera, le chauffeur, et tandis qu'il attend, nous le voyons lui aussi, planter son regard vers l’horizon, dans la mer.
« Bien sûr que je suis très nostalgique. Heureusement qu’entre tous, nous formons une famille et cela aide beaucoup. Nous nous chamaillons, vous savez, entre Cubains et constructeurs, mais nous prenons soin les uns des autres. Si nous sommes ici par solidarité avec le Venezuela, nous sommes d’abord solidaires entre nous », souligne Yunier.
De l'autre côté de cette montagne, il y a un groupe semblable qui construit de nouvelles maisons, comme s’il suivait la trace des ouvriers du terrassement. De leurs mains sort le dernier immeuble terminé, et plus bas, un bulldozer s’élance vers le ciel pour démarrer les travaux sur un terrain encore intact. C’est un paysan de Songo, accroché aux leviers, dévorant les broussailles d’une nouvelle montagne qui dans peu de temps sera un terrain plat, puis un chantier d'appartements flambant neufs.
Ainsi, des mains de Cubains construisent Ciudad Caribia, et Reynaldo, l'ouvrier de la construction, continue à sortir sur le pas de sa porte avant d'aller se reposer de la fatigue de la journée, pour respirer le silence et fumer une cigarette.
Il pense à Cuba, évidemment, mais il se souvient toujours de cette nuit, où le grand homme est arrivé et a demandé les Cubains.
Six années plus tard, il a le sentiment d’avoir respecté son engagement.
Grâce à sa sueur, dans ces montagnes, il y a maintenant des familles modestes qui habitent la ville, qui continueront de la peupler, et tous ensemble, dans leurs maisons, ils poursuivront le rêve en construction du Commandant Chavez.
Les engins défient la gravité et l’épaisseur des broussailles.
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