Venezuela: "Para-journalistes" et autres animaux: un nouvel épisode de la guerre médiatique
Cubadebate
traduction Françoise Lopez
L'information n'existe plus, elle a été remplacée par la propagande. Même s'il reste encore des journalistes, ils ont été capturés par les para-journalistes. Il y a des exemples mais pas d'analyses qui nous aident à comprendre comment ils opèrent et quels sont les objectifs des pratiques qui ont dégradé l'éco-système médiatique jusqu'à le faire disparaître.
Si on dit "paramilitaire" d'une personne affiliée à une organisation civile dotée d'une structure et d'une discipline militaire, nous pouvons qualifier de "para-journalistes" ces journalistes affiliés à des médias de masse qui suivent une discipline militaire en arrosant d'informations-chocs les objectifs définis par leurs entreprises. Dans le cas que nous prenons pour exemple, l'objectif est le Venezuela, concrètement le processus bolivarien et au passage, d'intervenir dans la configuration du prochain gouvernement du Royaume d'Espagne. Les para-journalistes comme naguère les écrevisses de rivière états-uniennes (plus voraces, plus grosses et inconsistantes) qui ont envahi les rivières espagnoles jusqu'à exterminer les autochtones, ainsi, cette nouvelle espèce de journalistes dont les employeurs ont des liens avec des corporation états-uniennes, nagent sur nos téléviseurs en alimentant les peurs et les préjugés de l'opinion publique au service de leurs maîtres.
La télévision est le média sur lequel ce grand prédateur opère le plus souvent, peut-être parce que, comme le montre l'Enquête Générale sur les Médias (2015), la télévision a 88,3% d'audience, dépassant de loin le reste. C'est à la télévision que le para-journaliste se montre le plus efficace et mortifère car les caractéristiques de la télévision en font un média idéal pour attaquer les émotions, manipuler les stéréotypes, renforcer les préjugés et les opinions pré-établies et bloquer la réflexion.
L'information-choc qu'a diffusée la chaîne Antena 3, le vendredi 22 janvier, portait ce titre: "Les images qui démontrent la relation de la CUP, de Podemos et de l'entourage de l'ETA avec le régime de Nicolás Maduro" et continuait: " Antena 3 Noticias se poursuit avec des images exclusives qui démontrent la relation ces indépendantistes catalans de la CUP, de Podemos et de l'entourage de l'ETA avec le régime de Nicolás Maduro au Venezuela. Des représentants de ces 3 collectifs se sont rendus au Venezuela dans un avion militaire qui est habituellement utilisé par le président vénézuélien lui-même".
Cette sorte d'attaque apparaît toujours avec le bandeau "exclusif", cela permet d'attirer plus l'attention du spectateur en lui indiquant qu'il ne pourra trouver ce qu'il va voir dans d'autres médias. Ensuite, les jours suivants, apparaissent plus de "révélations": il faut maintenir le plus longtemps possible l'attente de quelque chose de nouveau qui va se savoir. On parlera des "13 de Maduro" et avec quelques images floues, des affirmations décousues et des opinions camouflées en informations, on réduira le discours à seulement 3 termes qui sont ceux qu'on souhaite fixer dans l'esprit du spectateur: Venezuela, La CUP, Podemos et ETA.
L'information, ou pour mieux dire la consigne qu'il doit fixer sera reproduite dans différents médias pour créer un "courant", c'est à dire une campagne. Au début, comme il s'agit de conglomérats de médias (ensemble d'entreprises), ce seront les filiales d' Antena 3 comme Onda Cero, Antena 3 internacional, la Sexta et ensuite d'autres médias qui sont intéressés à se joindre à la vague pour des raisons idéologiques mais en général parce qu'ils partagent les mêmes intérêts, dans ce cas attaquer le Venezuela et bien orienter les accords politiques de la nouvelle législature.
L'air de mystère qu'on maintient avec de petites doses fragmentées et en utilisant les termes "exclusif" et "révélations" non seulement maintiennent l'attention mains renforce l'imagination de quelque chose d’illégal, d'interdit, de condamnable. L'état d'esprit obtenu empêche que le spectateur se pose des questions logiques comme, par exemple, comment est-il possible qu'un avion vénézuélien décolle d'un aéroport sans que les autorités espagnoles en aient connaissance et donnent leur autorisation? Et si les autorités l'ont autorisé, est-ce que ce ne serait pas parce que c'est parfaitement légal et public? Si dans cet avion, il y avait une personne liée à l'ETA ou simplement au terrorisme, pourquoi a-t-on permis qu'il prenne cet avion, encore plus en sachant que tus les Espagnols qui sortent du pays aussi bien des aéroports privés que des aéroports publics doivent passer par des contrôles des passeports? Et s'il y avait un dirigeant de Podemos et un autre de la CUP sur 32 passagers, quelle tendance politique avait le reste et pourquoi celle de ces deux personnes est-elle importante et pas celle du reste des passagers? Que se passe-t-il avec le reste des personnes de nationalité espagnole qui voyageaient dans cet avion? En supposant que les deux dirigeants aient assisté à une action sur l'ETA, s'agissait-il d'une action illégale? Est-il aussi illégal d'assister à une action sur le fondamentalisme islamique? Si la chaîne de télévision considère que a loi a été violée ou que le fait d'assister à un acte sur l'indépendantisme le transforme automatiquement en terroriste, pourquoi ne le dénonce-t-elle pas aux autorités espagnoles ou à la justice?
Les images peuvent-elles démontrer par elles-mêmes qu'ily a des accords ou des relations entre les personnes? Pourquoi moi-même, une professeur d'université, est-ce que j'apparais aux informations accompagnée de photos d'années antérieures, certaines de mars 2014, prises lors d'un hommage à Chávez dont Pablo Iglesias était le présentateur et a présenté des dizaines de personnes et d'autres photos d'une conférence de 2012 quand Podemos n'avait pas encore été créé? Mieux encore, pourquoi me lie-t-on à Podemos quand depuis sa fondation, j'ai soutenu une position très critique sur cette formation politique? Peut-être parce que j'ai l'habitude de dévoiler souvent la guerre médiatique et les techniques de manipulation employées? Ou parce que j'ai toujours défendu la légitimité du oguvernement bolivarien et la non ingérence du gouvernement espagnol?
La propagande de guerre agit toujours surle terrain préalablement bombardé. Dans ce cas, il y a déjà un schéma d'opinion formé par tous les médias généralistes espagnols pour en finir avec le processus de transformation révolutionnaire entrepris par le président H. Chávez. Le schéma a été construit autour de 2 coordonnées: identifier le gouvernement bolivarien comme une dictature et la répression de l'opposition. Peu importe si au Venezuela, il y aeu plus de 20 élections avalisées par des organismes internationaux, par des députés espagnols de gauche et de droite ou que l’opposition ait gagné les dernières élections et soit majoritaire au Congrès vénézuélien. Pour les spectateurs habitués à s'informer par la télévision, c'est comme si ces élections n'existaient pas. La même chose arrive au sujet de la répression politique, peu importe que les politiciens arrêtés et condamnés comme Leopoldo López ou Antonio Ledezma l'aient été pour des délits graves de conspiration et de plans terroristes qui, dans notre propre pays, auraient provoqué des condamnations plus longues. D'un autre côté, pour le spectateur espagnol et pour les partis conservateurs, le terrorisme de l'ETA a donné beaucoup de possibilités pour soutenir et condamner des options politiques, pour ancrer la partie la plus volatile de leur électorat, et est déjà devenu une étiquette qui signale un gouvernement ennemi. Le signel ETA, dans le cas de cette para-information, est vide de contenu et son unique fonction est de discréditer.
L'information que nous avons analysons a été construite sur ces axes pré-établis. Son but essentiel est d'alimenter à nouveau l'aversion du spectateur envers le gouvernement bolivarien et du coup, de détériorer l'image de Podemos et de la CUP, juste au moment où les marchés de la dette et les cercles de patrons demandent à grands cris un gouvernement stable qui garantisse la continuité de la spoliation. Tout scénario qui se matérialise est déjà pré-conditionné. S'il s'agit d'un pacte PSOE-Podemos-nationalismes, avec cette campagne, on les obligera continuellement à montrer des preuves de leur modération et de leurs responsabilités d'Etat. Si le pacte PP-PSOE-Ciudadanos, l'électorat aura déjà "compris" que c'est l'option la plus raisonnable pour la stabilité. Si on refait les élections, on pourra continuer à effrayer l'opinion publique avec des campagnes de discrédit que modèrent et limitent les possibilités de changement et qui fassent basculer l'électorat vers des options de gouvernement viables (du point de vue des intérêts du patronat). Bien sûr, ces bombardements para-journalistiques n'ont rien à voir avec le fait que Podemos ou la CUP soient des options de gauche quine le sont pas, même pas transformatrices de l'essentiel. Les médias des para-journalistes sont aussi des sujets politiques et suivant les actionnaires qu'ils ont, une ou l'autre de ces options leur convient mieux. Le para-journaliste,comme le paramilitaire, agit pour défendre celui qui le paie et ses valeurs sont cleles de l'entreprise. En ce qui est la politique de l'Etat (entreprise), il n'y a pas de différences idéologiques qui vaillent, les médias ne sont pas en compétition entre eux, ils se mettent d'accord. Les contradictions qu'on peut voir entre les programmes de La Sexta et ceux d'Antena 3 sont e fruit d'une répartition d'audience, il s'agit de couvrir toutes les sources possibles et pour cela, la format change pour donner une apparence plus jeune, moderne ou progressiste.
Nous allons vers qui paie ou nous partons de l'avion qui lance les missiles parce que cela aide à comprendre la composition concrète du missile. Dans ce cas, il s'agit d'Antena 3, une télévision qui appartient au groupe Atresmedia Corporación présidé par José Creuheras, après José Manuel Lara Bosch (2003-2015) et Javier Godó (1989-1992). La maison mère d'Atresmedia est Atresmedia Televisión qui a obtenu en 1989 une des tois licences de téélvision privée en Espagne. (Je laisse le lecteur curieux enquêter sur ces personnages,leurs relations avec le capital financier, productif et les figures du monde politique).
A l'origine d' Antena 3 television qui a produit ensuite la Corporation (ensemble d'entreprises de médias portant le nom d'Atresmedia), la radio Antena 3 S.A. (1982-89) dont le capital majoritaire était celui de la maison d'édition La Vanguardia (52%) et ABC-Prensa española (13%) l'agence Europa Press et le Grupo Zeta. Déjà en 1989, en tant que radio, elle a été la première société anonyme dans le milieu de la communication à entrer en bourse et entre 1992 et 1997 Antena 3 a été liée au groupe PRISA qui, comme nous le savons, grâce au gouvernement de Felipe González et à ses liens avec le PSOE, s'est étendu dans toute l'Amérique Latine.
A partir de 1997, une autre grande entreprise avec des intérêts et des affaires dans toute l'Amérique Latine, Telefónica, devient actionnaire majoritaire de la société Antena 3 (49%) et la Banque Santander (29%) également en expansion en Amérique Latine possède un grand nombre d'actions. A partir de 2003, le groupe majoritaire sera le Grupe Planeta et, en 2012, on fusionnera avec GIA La Sexta.
Comme nous le voyons, les Corporations de médias ont une idéologie commune qui est ce qui détermine leur intervention dans la politique nationale et internationale: les affaires. Quand le capital est en jeu, les entreprises n'entrent pas en compétition entre elles, elles font des pactes. Leurs intérêts sont défendus en influençant l'opinion publique qui est ce qui, dans les systèmes représentatifs, fait pencher la balance en faveur d'un gouvernement ou d'un autre qui défendra mieux ou moins bien les bénéfices économiques de ses alliés. Dans le cas d'Atresmedia Corporación, les entreprises et les personnes (les chefs d'entreprises et les para-journalistes) qui ont marqué leurs lignes éditoriales à différents moments historiques y ont eu des intérêts d'une façon ou d'une autre, c'est à dire des affaires en Amérique Latine et par conséquent, un gouvernement comme celui du Venezuela, disposé à gouverner en suivant des critères différents de celui des plus grands bénéfices pour les élites, nécessairement est devenu l'ennemi à abattre.
Dans le cas d'Antena 3 et d'Atresmedia et de leur campagne contre le Venezuela il y a, de plus, une relation avec le grand ennemi du gouvernement bolivarien qu'est le chef d'entreprise Gustavo Cisneros qui, curieusement, a obtenu la nationalité espagnole récemment. Cisneros est le grand magnat des communications vénézuélien dont les médias ont 60% d'audience au Venezuela, c'est l'homme le plus riche du Venezuela et en plus, il a des affaires dans d'autres domaines comme le secteur de l'immobilier. En 2014, le gouvernement espagnol présidé par Mariano Rajoy a accordé à sa femme, patronne de la fondation Phelps, principal mécène de la Fondation Reine Sophie et propriétaire de la collection d'art latino-américain la plus complète du monde, l'Ordre Civil Alfonso X le Sage.
Cisneros cherche depuis longtemps à investir en Espagne en particulier dans la communication. Il a essayé d'acheter La Sexta quand Rodríguez Zapatero était président bien qu'il ait perdu la bataille contre le groupe Zeta (avec lequel il avait des actions à Antena 3 entre 1992-97). son intérêt est non seulement d'essayer d'acquérir une télévision autonome (Telemadrid o Canal Sur) mais il veut que les contenus audiovisuels que produit son entreprise aux Etats-Unis puissent entrer en Espagne. En effet, Venevisión (sa principale entreprise de communication) a vendu à Telecinco et à Antena 3 plusieurs productions. Actuellement, Cisneros a des intérêts dans lus de 30 compagnies et des clients dans plus de 90 pays. A son curriculum de chef d'entreprise, il faut ajouter son personnel : un ami personnel de l'ex président du Gouvernement espagnol qui Felipe González (qui dernièrement était très actif dans l'ingérence dans la politique vénézuélienne), de l'ex président états-unien George Bush, de l'ex secrétaire d'Etat Henry Kissinger et du multimillionnaire David Rockefeller. En novembre de 2015, le groupe de médias et de communication Cisneros et le fonds de capital privé Velum Ventures ont investi 2,5 millions de dollars dans l'entreprise d'origine colombienne Fluvip pour renforcer son expansion en Amérique Latine, aux Etats-Unis et en Espagne.
Tout grand patron défend ses intérêts de sorte qu'il n'est pas insensé de suggérer que Cisneros veut bouger les fils dont il dispose pour orienter le prochain gouvernement en Espagne et bien sûr pour tirer depuis l'étranger sur le gouvernement bolivarien.
La propriété des médias, ses liens avec les banques, avec les institutions et d'autres formes de capital nous aide à comprendre les objectifs dans lesquels s'insèrent les informations qui sont construites. La façon dont les médias opèrent et les armes qu'ils emploient nous permettent de comprendre comment ils nous influencent.
La télévision, non seulement est le média qui monopolise la formation de l'opinion publique en politique mais elle a aussi acquis le monopole des émotions. Les informations n'en sont pas si on ne peut pas les rendre sensationnelles. L'arme principale du para-journaliste est la transformation en spectacle et la dramatisation. Bourdieu disait de la télévision qu'elle "met en scène en images un événement et exagère son importance, sa gravité ainsi que son caractère dramatique, tragique" et que c'est la clef de la manipulation des émotions. D'un autre côté, bien qu'il nous semble que les images sont la base des informations télévisées, la réalité, comme le montre l'"information" d'Antena 3 que nous utilisons comme exemple est que les images par elles-mêmes sont incompréhensibles. "Il manque des mots extraordinaires. En effet, paradoxalement, le monde de l'image est dominé par les mots". Si nous voyons un dirigeant de la CUP monter dans un autobus, quelqu'un doit nous dire de quoi il s'agit, ce que nous devons voir. si nous voulons mettre en relation le Venezuela, Podemos, la CUP et l'ETA, quelqu'un doit nous expliquer et nous dire ce que nous voyons sur des fragments d'images, en général, incompréhensibles. Les images créent seulement des effets de réalité, c'est pourquoi on sort des images d'archives, d'autres faits, on les sort de leur contexte et on les utilise pour raconter autre chose. En réalité, on fait des montages qu'on nous présente comme des informations.
Les spectateurs sont toujours prêts à croire ce qui coïncide avec leur vision du monde ou ce qu'on leur présente comme un fait indubitable. Ce qui flotte dans l'air est recueilli par le para-journaliste, ré-élaboré avec des morceaux de ci de là et diffusé à nouveau à l'audience sous forme d'information, c'est à dire avec des faits, des noms, etc... De cette façon, les idées préconçues deviennent réalité? Les informations se construisent au goût du consommateur.
Marx disait du fétichisme de la marchandise que quand un produit devient marchandise, les traces de sa production s'effaçaient. Les conditions sociales, le contexte et les objectifs des informations disparaissent, engloutis par la voracité du spectateur toujours affamé d'informations spectaculaires. Ce qui importe est qu'on puisse cacher le processus de production de l'information et les objectifs poursuivis.
Les journalistes ont l'habitude de penser que quand on analyse leurs pratiques et quand on enquête sur les objectifs et la logique des médias, on fait une dénonciation contre quelqu'un ou qu'on les attaque. Rien de plus près de la réalité puisque toute enquête de base sur les médias, en les transformant en objet d'enquête, donne le résultat que les journalistes sont aussi manipulateurs que manipulés et qu'ils ne peuvent se libérer de la responsabilité de tuer des consciences, de la même façon qu'un mercenaire ou un soldat de profession prend la vie d'êtres humains. Les para-journalistes, leurs chefs, les politiciens et les habitués qui financent, promeuvent et consentent à ce que cette espèce dévaste notre environnement de communication, sont responsables de la dévastation de nos esprits, de la déformation et de la manipulation qui essaient de tordre la volonté des peuples et s'il n'y arrive pas, répare le terrain pour l'intervention armée ou les coups d'Etat.
Source en espagnol:
http://www.cubadebate.cu/?p=694363#.VqscvoRQkRE
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