Cuba: Malmierca arrive à Washington: Les chemins sont à double sens ou ne sont pas
par Ismael Francisco, Rosa Miriam Elizalde (Cubadebate, 14 février 2016)
traduction Françoise Lopez
Le ministre du Commerce et des Investissements Etrangers Rodrigo Malmierca commence une visite de travail à Washington. Une large délégation qui comprend des représentants de la Chambre de Commerce, du Ministère des Relations Extérieures, de la Banque Centrale et du patronat cubain l'accompagne.
La distance est plus grande entre La Havane et Pinar del Río, qu'entre le Malecón et le Détroit de Florida. Il y a exactement 180 km qu'on voit sur la carte de l'avion de la compagnie aérienne panaméenne Copa sur laquelle le Ministre du Commerce et des Investissements Etrangers Rodrigo Malmierca se rend à Washington.
La route qui l'amène aux Etats-Unis va d'abord à Panamá et revient ensuite sur ses pas pour se diriger vers le Nord. Elle survole deux fois l'Ile qu'évidemment, on ne voit pas à la hauteur à laquelle vole l'avion. Mais on sait que sous le ventre de l'avion se trouve le versant méridional du Pic Turquino et il n'est pas difficile à un Cubain d'imaginer le vigoureux relief de la Sierra Maestra avec ses étroites vallés ouvertes entre les contreforts montagneux.
En regardant la carte avec un avion miniature glissant lentement vers le Nord pendant plus de 4 heures et à quelques pas de l'endroit où est assis le Ministre du Commerce Extérieur de Cuba, il n'est pas non plus difficile de penser à la politique absurde qui a empêché pendant un demi-siècle les relations entre notre pays et les Etats-Unis et du coup, a entravé le commerce naturel dans toute la région. Notre Ile sur cette mer regarde vers tous les chemins du monde, comme disait le sage Antonio Núñez Jiménez mais, entre les sanctions et les poursuites financières du puissant voisin, cette enclave privilégiée a été assiégée trop longtemps. Un siège qui a été contre nous et contre les autres.
L'archipel cubain a une position identique à celui du Japon face aux côtes asiatiques et à celle de la Grande Bretagne face au continent européen. Le blocus a empêché non seulement à Cuba et aux Etats-Unis mais au monde le passage par l'une des voies privilégiées de la planète "clef du Golfe". De là, l'importance stratégique du Port de Mariel qu'ont visité des ministres, des gouverneurs et des sénateurs états-uniens ces derniers mois. Récupérer pleinement ce passage qui permet la confluence des chemins et peut-être l'un des plus grands espoirs que laisse entrevoir le changement de politique du Président Barack Obama et le début du processus de normalisation des relations entre les deux pays.
Bien que ce ne soit pas la première fois qu'un fonctionnaire cubain de très haut rang se rende aux Etats-Unis depuis ce qu'on appelle le "dégel" - le chancelier Bruno Rodríguez l'a fait quand l'Ambassade de La Havane à Washington a réouvert - la présence du Ministre du Commerce Extérieur de la Révolution tient en suspens la presse états-unienne et est la bienvenue aux Etats-Unis pour les hommes politiques, les fonctionnaires, les patrons et les citoyens las des hostilités et des avenues coupées entre les deux nations.
Même quand l'avion se pose enfin sur la piste de l'Aéroport International Washington-Dulles, à 32 kilomètres du coeur administratif des Etats-Unis, on apprécie une certaine détente et un certain relâchement dans la réception du ministre et de la délégation qui l'accompagne. La température est en-dessous de zéro degré, des collines de neige bordent la piste et on annonce des chutes de neige dans la matinée. Mais ici, en ce dimanche de la Saint-Valentin, l'ambiance est chaude.
Le chemin doit être à double sens ou ce n'est pas un chemin
Gail Reed, journaliste états-unienne et éditerice exécutive de la revue spécialisée dans la santé MEDICC (Medical Education Cooperation with Cuba) voit avec optimisme cette visite de Malmierca et le fait qu'elle se produise peu après les mesures annoncées par le Département du Commerce et du Trésor à la fin du mois de janvier dernier. Elle croit que ce troisième paquet de mesures aide le porte-avion des peuples ancré dans les Caraïbes qu'est Cuba et ce qui l'enthousiasme le plus, c'est que la santé des deux peuples pourra sans doute en bénéficier.
Mais un chemin est à double voie ou ce n'est pas un chemin. Et il y a encore des restrictions qui influent négativement sur la coopération en matière de santé entre Cuba et les Etats-Unis", un sujet qu'elle connaît bien. "D'autres changements demandent une action du Congrès, assure-t-elle. Le plus important, avant l'élimination totale du blocus, c'est l'élimination de l'interdiction des exportations de médicaments et et de matériel médical à Cuba sans licence spécifique accordée par le Département du Trésor des Etats-Unis."
Gail assistera à Washington à la rencontre entre le Ministre Malmierca et des chefs d'entreprises des Etats-Unis qui s'intéressent au commerce avec Cuba et elle a exprimé à Cubadebate certaines de ses impressions. Elle est convaincue que les Etats-uniens pourraient bénéficier de l'entreprise cubaine dans le domaine de la santé et de la bio-technologie et de la levée des restrictions en vigueur sur les importations de Cuba aux Etats-Unis.
"En particulier à ceux qui souffrent de maladies chroniques comme le cancer ou le diabète étant donné les produits et les innovations que Cuba a développés dans ce secteur - par exemple avec les vaccins thérapeutiques contre le cancer du poumon, du cou et de la tête et plusieurs cancers des enfants. Un autre exemple, évidemment, c'est l'Heberprot-P pour le traitement des lésions du pied diabétique. Aux Etats-Unis, il y a plus de 70 000 amputations par an à cause de cette complication du diabète, la plupart du temps dans les minorités pauvres. elles n'ont pas encore accès à ce médicament cubain - dont on dit qu'il diminue le risque relatif d'amputation de plus de 70% - à cause des restrictions de la politique actuelle. Il est inacceptable qu'elles doivent continuer de souffrir simplement et qu'elles finissent par avoir des handicaps à cause de la politique extérieure du gouvernement."
Elle reconnaît aussi qu'il existe des stratégies dans le domaine de la santé qui ont contribué à ce que la population atteigne des indicateurs positifs aujourd'hui même avec des ressources limitées dont pourraient profiter les autorités et les communautés des Etats-Unis pour atteindre une meilleure équité dans le domaine de la santé et de meilleurs résultats pour tous. "MEDICC a prouvé que ce n'est pas de la théorie. Elle a déjà travaillé avec quelques 13 communautés aux Etats-Unis qui prennent des initiatives suite à leurs expériences dans le contact avec le système national de santé à Cuba", dit Gail.
Chaque fois que Cuba et les Etats-Unis se réunissent pour discuter, leurs chemins se rapprochent
Peu de gens connaissent comment Sarah Stephens, directrice exécutive du Centre pour la Démocratie dans les Amériques (CDA) qui a son siège dans la capitale états-unienne, le complot improbable qui tire les ficelles à Washington en ce qui concerne les relations Cuba-Etats-Unis et combien le blocus affecte l'Ile. Nous sommes venus discuter avec elle du contexte dans lequel survient la visite de Malmierca. A cause de l'importance de cette conversation, nous la transcrivons intégralement.
- Dans une note au nom du Centre pour la Démocratie dans les Amériques (CDA), après les nouvelles règles des Départements du Commerce et du Trésor, le 27 janvier, vous vous dites optimiste sur le fait que le gouvernement fera usage de son autorité exécutive pour aller plus loin dans les semaines et les mois qui viennent. Dans quelle direction l'administration d' Obama pourrait-elle avancer exactement, à court terme?
- Lors de plusieurs réunions que j'ai eues avec des fonctionnaires de l'administration Obama, ils m'ont impressionnée par leur engagement à faire plus et leur reconnaissance du fait que les derniers jours du Président sont arrivés - en eux se mêlent le désir et l'urgence au moment d'affronter les problèmes qu'ils attendent. Il y a un large consensus parmi les experts de la législation et de la politique pour dire que le Président peut utiliser ses pouvoirs exécutifs pour permettre des voyages non touristiques aux gens à l'intérieur des règles people to people, augmenter les exportations états-uniennes à Cuba et les importations cubaines aux Etats-Unis et soulager les institutions financières de l'angoisse de pouvoir avoir des amendes si elles participent à des transactions autorisées avec des clients cubains.
Les avantages qu'il y aurait à faire cela sont clairs: cela bénéficiera au peuple des Etats-Unis et de Cuba, augmenterait l'activité commerciale et aiderait l'économie cubaine et ainsi, on obtiendrait un rapprochement entre nos pays. Une des plus grandes réussites du président Obama dans son ouverture diplomatique envers Cuba est d'avoir changé le point de vue de sa politique: les tentatives pour miner l'économie et le gouvernement cubain se sont transformées en actions qui normalisent les relations de telle façon qu'elles servent les intérêts nationaux des Etats-Unis et bénéficient au peuple cubain.
- Certains commentateurs ont considéré que ces mesures constituent un pas "de géant" dans le processus de normalisation des relations entre les deux pays. Cependant, d'autres considèrent que ces régulations sont limitées, difficiles à concrétiser et ne reflètent pas une volonté claire du président Obama de blinder par des faits sa nouvelle politique envers Cuba. Comment voyez-vous cela?
- Ce changement de point de vue du Président envers Cuba est en soi un pas de géant. Maintenant, il a pris un chemin précis et pas à pas (step-by-step) pour atteindre ce qu'il pense qu'il peut atteindre dans les limites de la loi, en particulier des lois de l'embargo. Pour nous qui souhaitons la normalisation des relations, parmi lesquels se trouve avec fierté le CDA, il est important de prendre uen perspective de long terme, tout pas isolé peut sembler limité mais chaque changement dans la politique vu dans l'ensemble représente des audaces et quelque chose d'énorme comparé à ce qui existait auparavant et doit être apprécié de cette manière.
- Les autorités cubaines ont déclaré que ces mesures sont rendues difficiles à appliquer par l'interdiction d’utiliser le dollar nord-américain dans les transactions. Le Président a-t-il la possibilité de changer cette règle? Comment cela affecte-t-il le patronat états-unien?
- Le Président Obama a toujours agi dans le cadre de la loi. Parfois, cela a signifié élargie le droit des citoyens états-uniens et les échanges commerciaux avec Cuba et parfois cela a signifié appliquer strictement les régulations mises en place pour empêcher des transactions commerciales qui sont importantes avec l'embargo. Cela provoque la peur dans de nombreuses compagnies nord-américaines, même des institutions financières, la peur de traiter avec des consommateurs cubains ou d'avancer dans des contrats avec Cuba. Beaucoup d'experts en droit considèrent qu'il a l'autorité pour changer la climat des régulations en ce qui concerne les transactions en dollars et favoriser une activité commerciale pour que les patrons états-uniens puissent échanger avec leurs homologues cubains dans craindre d'avoir une amende. J'espère que le Président prendra ce genre de décisions dans le temps qu'il lui reste au commandement.
- Plusieurs sources aux Etats-Unis ont évoqué la possibilité que le Président Obama aille à Cuba début mars. Quel serait l'impact sur l'île d'une visite du Président à La Havane? A Washington? Sur les élections présidentielles et législatives de 2016?
- Je me suis rendue à Cuba à partir de 2001 et je n'ai jamais vu semblable émotion sur l'île, au moins quand il s'agit des Etats-Unis, que pendant les jours où le Président Obama et le Président Castro se sont serré la main à l'Hommage à Mandela (en Afrique du Sud) ou quand le Président Obama a cité José Martí le 17 décembre. Ce que le Président états-unien reconnaît - à la différence de ses prédécesseurs - c'est la valeur que les Cubains donnent à leur souveraineté nationale et à la dignité humaine. Il traite Cuba et le peuple cubain avec respect. - comme il se doit - ce qui l'éloigne, de fait, de la politique antérieure. C'est la raison pour laquelle je crois que s'il se rend à Cuba, le Président sera reçu chaleureusement par le peuple cubain et je crois que s'il fait cette visite, cela augmentera le soutien - déjà très fort - des Etats-uniens envers sa politique envers Cuba et tout ce qu'il a réussi.
- Certains candidats républicains à la présidence ont critiqué l'ouverture de la Maison Blanche envers La Havane. Si l'un de ces candidats gagne les élections, pourra-t-il faire marche arrière en ce qui concerne ces mesures positives?
- Mon organisation, le Centre pour la Démocratie dans les Amériques (CDA) est une institution sans but lucratif et ne prend pas de position politique dans cette élection. Mais on peut examiner les positions des candidats sur la politique Etats-Unis-Cuba et en conclure que beaucoup reviendraient sur la politique (d'Obama). Nous, nous croyons que chaque fois qu'un Nord-américain visite Cuba, chaque fois que nos fonctionnaires se réunissent pour travailler sur les problèmes qui nous divisent, les arguments pour avancer dans les changements se renforcent.
- Quelles possibilités y a-t-il que le Congrès approuve cette année une loi pour éliminer ou affaiblir le blocus?
- Nous, au CDA, nous travaillons pour renforcer le soutien envers les changements du Président, les défendre contre les critiques et éviter qu'on puisse revenir dessus, en plus d'éduquer les faiseurs de politique et le public sur la nécessité de compléter le processus de normalisation. Nous sommes fiers que 3 vétérans des voyages du CDA à Cuba – le Sénateur Klobuchar, et les Représentants Tom Emmer et Kathy Castor – soient à la tête des efforts au Congrès états-unien pour révoquer l'embargo. C'est notre espoir, que cette loi reçoive un soutien croissant au Congrès maintenant et nous visons 2017 pour atteindre le nombre de voix qui permette de révoquer l'embargo une bonne fois pour toutes.
- L'année dernière, 145 000 visiteurs des Etats-Unis sont venus à Cuba. Quel a été l'impact aux Etats-Unis du fait que tant de gens aient vu Cuba de leurs propres yeux?
- J'ai eu la chance d'organiser plusieurs voyages à Cuba pour 112 membres du Congrès et de vieux assistants des congressistes, 2 gouverneurs états-uniens, plus de 50 chefs d'entreprises privées et des centaines de leaders qui se consacrent à la philanthropie, à des sujets concernant les femmes, et aux arts pour examiner directement les impacts de la politique nord-américaine sur le peuple cubain. Je peux parler de l'effet que cela a eu sur eux. Presque tous ceux que nous y avons amenés sont revenus aux Etats-Unis avec une plus grande admiration pour le peuple cubain, une plus grande compréhension pour le gouvernement et pour l'histoire de Cuba et le désir d'en finir avec l'embargo et de normaliser les relations. Plus que tout, nos voyageurs concluent que visiter Cuba devrait être tout à fait légal pour toute personne qui vit aux Etats-Unis, sans avoir à supplier le gouvernement états-unien. Ils veulent être libres de se rendre à Cuba.
Source en espagnol:
http://www.cubadebate.cu/?p=702359#.VsGMMoRQkRE
URL de cet article: