CRISE DES MISSILES 22: Moscou offre des formules incohérentes pour résoudre la crise, sans s'occuper de Cuba

Publié le par cubasifranceprovence

Ruben G. Jimenez Gomez

 

Tard dans la nuit du 26 octobre, le Commandant en Chef Fidel Castro se rendit à l'Ambassade soviétique dans le but d'envoyer un message à Khroutchëv pour lui donner du courage, fortifier ses positions morales et l'exhorter à rester ferme, sans erreurs ni hésitations irréparables au cas où la guerre éclaterait. Dans sa lettre, il indiquait au Premier Ministre soviétique que l'agression contre Cuba était pratiquement imminente ,dans les 24 à 72 prochaines heures, et que la variante la plus probable était l'attaque aérienne bien que l'invasion ne puisse pas être écartée. Fidel pensait approprié de donner son opinion sur le fait que l'invasion de l'Ile signifierait de fait la guerre contre l'Union Soviétique, car tôt ou tard, serait assené un coup nucléaire contre le territoire de l'URSS, car les Nord-américains n'attendraient pas la réaction soviétique et prendraient l'initiative. Par conséquent, il fallait éviter que se répètent les erreurs de la Seconde Guerre Mondiale , il ne fallait se laisser surprendre d'aucune façon. Le dirigeant cubain affirmait que l'Union Soviétique ne devait jamais permettre que les impérialistes puissent lancer contre elle la première attaque nucléaire.

 

La flotte nord-américaine déploie sa « quarantaine » autour de Cuba.

 

En relation avec cette lettre surgirent ensuite une série d'incompréhensions, car Khroutchëv comprit qu'il proposait de lancer une attaque nucléaire préventive contre les Etats-Unis , c'est à dire, avant de commencer tout type d'action de combat. En réalité, ce qu'il proposait, c'était de ne pas se laisser surprendre après que les Nord-américains aient commencé l'agression contre Cuba et les troupes et les armes soviétiques qui se trouvaient dans le pays. Semblable confusion a pu être la conséquence d'une inexactitude dans la traduction ou due à la grande tension nerveuse qui devait peser alors sur les dirigeants soviétiques.

 

Samedi 27 octobre.

 

Pendant les derniers jours, aux Etats-Unis s'était déroulée la mobilisation d'une grande force d'attaque avec tous les ingrédients qu'on jugeait nécessaires et on avait pris une série de mesures additionnelles de préparation qui permettraient de répondre à n'importe quel tour que prendraient les événements. A ce moment-là, ils étaient déjà prêts à commencer les attaques aériennes et maritimes de grande envergure si la décision en était prise.

 

Les préparatifs réalisés incluaient entre autres choses, les suivantes : la groupement naval concentré dans les Caraïbes comptait environ 200 bateaux de guerre , conduits par plusieurs porte-avions, des dizaines de destructeurs et de bateaux de différentes sortes et destinations. De plus, ce jour-là, une Brigade Expéditionnaire d'Infanterie de Marine levait l'encre sur la côte du Pacifique pour se rendre dans la Mer des Caraïbes. Le Commando de Défense Antiaérienne Continental comprenait 183 intercepteurs au sud-est des Etats-Unis , parmi lesquels 22 en alerte de 5 minutes, 72 en alerte de 15 minutes et 48 en alerte de 1 à 3 heures. Quatre intercepteurs étaient constamment en l'air, auxquels s'ajoutaient 5 autres depuis une heure avant l'aube jusqu'à une heure après le crépuscule. La Marine, le Corps de Marines et le Commando Antiaérien Tactique des Forces Aériennes comprenaient 850 avions ensemble en Floride pour effectuer des attaques aériennes contre Cuba et ceux compris dans le OPLAN-312 (attaque aérienne surprise) resteraient en alerte d'une heure, en pouvant passer à des niveaux supérieurs de disposition si on leur en donnait l'ordre. Au large des côtes est, l'Armée avait remis quatre divisions au Commandement de l'Atlantique pour l'invasion, en plus de l'artillerie de soutien nécessaire, pendant qu'une division blindée, une force d'infanterie et plusieurs unités d'artillerie se dirigeaient du Texas vers l'est. Le Commandement Aérien Stratégique maintenait constamment en l'air 66 bombardiers stratégiques lourds B-52 avec 196 munitions nucléaires à bord, qui couvriraient des cibles en Union Soviétique à tout moment si la guerre nucléaire éclatait. De plus, sont maintenus sur terre en alerte de 15 mn pour le décollage 271 B-52 et 340 bombardiers moyens B-47 avec un total de 1630 munitions nucléaires à bord. Il y avait près de 200 missiles intercontinentaux Atlas, Titan et Minuteman à différents degrés de préparation pour le lancement et 5 ou 6 sous-marins avec des missiles Polaris restaient sur leurs positions de combat en Mer de Norvège.

 

Pour sa part, à Cuba, le premier groupe de combat du régiment de missiles de moyenne portée stationné à Santa Cruz de los Pinos-San Cristobal atteignait sa position de combat et avait vérifié tous les missiles et leurs équipements auxiliaires, avec lesquels la division aérospatiale stratégique était prête avec ses 24 rampes de lancement et les charges nucléaires étaient en position près des régions de stationnement.

 

Ce même jour, le général d'armée Pliev reçut reçut un autre télégramme chiffré du ministre de la Défense d'URSS, dans lequel se répétait l'interdiction catégorique d'employer l'arme nucléaire, sur sa décision, avec n'importe quel type de missile et avec l'aviation. Ainsi, les conceptions sur l'utilisation de cet arme avaient bien changé pendant la période qui s'était écoulée depuis le début de l'Opération jusqu'à la phase finale de la Crise ! De plus, dès l'aube, les batteries antiaériennes cubaines commencèrent à tirer sur tous les avions qui essayèrent de réaliser des vols en rase-mottes au-dessus du territoire de Cuba. Mais les pilotes de ces avions rapides et maniables, en s'apercevant qu'on les recevait à coups de feu, augmentaient la vitesse et l'altitude et repartaient vers la mer, de sorte qu'aucun ne fut abattu par les rafales des Cubains.

 

A 9 heures du matin, heure de Washington, fut connu un nouveau message de Khroutchëv pour le président Kennedy. Cette fois, il avait été lu publiquement sur Radio Moscou. Le nouveau message était très différent du précédent, il n'était pas long, vague ni émouvant. Au contraire, il était très ferme et formel. Son ton était dur. Il demandait que soient retirés de Turquie les missiles étasuniens Jupiter en échange du retrait des missiles de Cuba. De plus, les Nord-américains s'engageraient à ne pas envahir Cuba et à ne pas permettre que d'autres le fassent, tandis que les Soviétiques contracteraient des engagements similaires au sujet de la Turquie.

 

A 10 heures du matin, commença la réunion du Comité Exécutif du Conseil National de Sécurité. Au début, le Président donna lecture du message de Khroutchëv transmis par Radio Moscou peu de temps avant et déclara que c'était une position très dure en comparaison de l'idée exprimée dans le message reçu la nuit précédente. Il pensait aussi que cette position soviétique obtiendrait un large soutien dans l'opinion publique internationale, c'est pourquoi ils devaient envisager de rendre publique la lettre précédente du Premier Ministre soviétique.

 

Le problème résidait dans le fait que cette proposition n'était pas absurde et n'entraînait pas de préjudice pour les Etats-Unis ou ses alliés de l'OTAN. Ces derniers temps, le Président avait proposé plusieurs voies au Département d'Etat pour arriver à un accord avec la Turquie pour retirer les Jupiter de là, car ils étaient franchement anciens et les sous-marins avec des missiles Polaris en Méditerranée seraient bien meilleurs militairement. Les Turcs avaient toujours fait des objections et des difficultés devant le retrait des Jupiter et le sujet avait été abandonné en plus d'une occasion. Maintenant, le Président était irrité car il acceptait mal de retirer ces missiles sous les menaces de l'Union Soviétique et sur proposition de celle-ci. D'autre part, il ne voulait pas être poussé à une guerre catastrophique pour quelques projectiles antiques et peu utiles. Il fit l'observation au Département d'Etat et à tous les autres, que l'accord paraîtrait bon à toute personne raisonnable, que la position des Etats-Unis face au monde étaient devenue extrêmement vulnérable, ce qui avait été de leur faute, et de personne d'autre.

 

La question fut longuement débattue car la réaction des membres du Comité fut contradictoire. Certains proposèrent de se tourner vers le gouvernement turc pour que celui-ci demande aux Etats-Unis le retrait des missiles, alors que d'autres considéraient qu'ils ne devaient pas être d'accord avec les remarques des Russes, car les problèmes de la sécurité de l'Hémisphère Occidental et de l'Europe étaient des questions indépendantes, en plus du fait que la décision de placer des missiles en Turquie n'étaient pas une décision nord-américaine mais une décision de l'OTAN. C'est pourquoi la décision contraire devait aussi être prise par cette Organisation et cela prendrait du temps. Ils expliquaient que d'abord, il fallait régler la Crise présente pour ensuite s'occuper des autres problèmes.

 

On fit remarquer aussi que le second message ne semblait pas être de la même personne que le premier et on envisageait la possibilité que Khroutchëv ait été influencé par les partisans de la ligne dure ou évincé. Parmi les spéculations plus ou moins fondées, se trouvait l'incertitude de savoir si le leader soviétique avait perdu ou non le contrôle de la situation, ou si c'était qu'il était indécis ou s'il essayait de mettre la pression sur le président Kennedy. On supposait qu'une façon d'interpréter ces messages controversés était que ceux-ci constituaient une démonstration de la lutte pour le pouvoir qui se déroulait dans les coulisses à Moscou et plusieurs questions surgirent :

 

Qui commandait, en réalité, au Kremlin, en ce moment ? Khroutchëv avait-il été remplacé dans la nuit par quelque groupe d'intransigeants ? Si cela était arrivé, le résultat en serait une tendance irrépressible vers l' affrontement violent , à cause de quoi la guerre froide semblait être sur le point de s'achever dans une terrible explosion, ce qui était aggravé par le fait que l'explosion pourrait être thermonucléaire. En réalité, l'explication était beaucoup plus simple : lorsque fut connu à Moscou le contenu de la conversation de Robert Kennedy et de Dobrinin au sujet des missiles nord-américains installés en Turquie, on avait rédigé un second message au président Kennedy, celui qui fut transmis par Radio Moscou pour gagner du temps, car on savait que le danger de confrontation entre les deux puissances augmentait.

 

Pendant la discussion, on apprit que le gouvernement turc achevait de faire une déclaration de presse disant que la proposition russe sur les Jupiter était inconcevable. Avec cette déclaration sombrait l'espoir de le convaincre de demander aux Nord-américains le retrait des malheureuses vieilleries de la discorde. Alors le Président remarqua que si les missiles à Cuba élevaient de façon appréciable les capacités d'attaque nucléaire des Soviétiques, les négocier contre ceux de Turquie était très avantageux. Mais, en ce moment, ils courraient le risque d'aller à une guerre aux conséquences incalculables à Cuba, et peut-être à Berlin, par la faute de quelques projectiles anciens et de faible valeur militaire. Il serait difficile de recevoir du soutien pour une attaque aérienne contre Cuba en ayant la possibilité de faire une bonne affaire s'ils acceptaient l'échange proposé. Ils seraient dans une très mauvaise position si ils semblaient attaquer Cuba pour garder des missiles inutiles en Turquie. Il souligna de toute façon que les Nord-américains ne pouvaient proposer le retrait des Jupiter en ce moment mais les Turcs, oui, pouvaient le demander . Mais pour cela, il fallait les informer clairement du terrible danger dans lequel ils vivraient pendant la semaine suivante, devant la forte probabilité que si eux attaquaient Cuba, les Soviétiques répondraient en attaquant la Turquie.

 

Des années plus tard, on apprit que le président Kennedy avait été sur le point d'accepter le troc des missiles de Turquie et de ceux de Cuba, au milieu de la Crise. On l'apprit par les révélations de McGeorge Bundy en 1987, lors de la Conférence organisée par les Nord-américains à Hawk's Key pour analyser les événements de 1962. Bundy déclara que « le 27 octobre, le Président ordonna à Dean Rusk de parler avec Andrew Cordier, alors président de l'Université de Columbia et pendant de nombreuses années, haut fonctionnaire de l'ONU, pour qu'il remette à U Thant le texte d'une déclaration et propose, comme si cela venait de lui, l'échange des projectiles. La déclaration serait remise dans les mains du Secrétaire Général de l'ONU quand Kennedy le déciderait, et il ne le fit jamais. »

 

Pour sa part, la réaction du Commandant Fidel Castro fut très critique, quand il apprit par Radio Moscou la proposition du troc des missiles faite par Khroutchëv et il le fit savoir à l'Ambassadeur soviétique, Alexander Alexeiev.

 

Moscou présentait des propositions pour résoudre la Crise mais des propositions incohérentes alors que le troisième pays engagé ignorait ce qui se passait. Suivant un raisonnement logique, il était très difficile de supposer que l'URSS rendrait ses positions sur des promesses de peu de valeur et, surtout, sans consulter Cuba. Les positions de Khroutchëv pendant les premiers jours de la Crise furent fermes et conséquentes, cette attitude ne correspondait pas à la proposition inattendue au sujet des missiles de Cuba et de Turquie. En analysant objectivement les lettres échangées entre Moscou et Washington, on en arrive à la conclusion que l'URSS manifesta des hésitations et que les Etats-Unis gardèrent à tout moment une position de force et de menaces contre Cuba et contre l'URSS.

 

A la fin de la réunion, Robert Kennedy exprima sa préoccupation au sujet de la position sur laquelle restaient les Nord-américains si, après avoir parlé avec les Russes pendant longtemps, les Cubains refusaient de permettre l'inspection de l'ONU pour garantir que les missiles existant à Cuba étaient réellement inopérants. La réponse fut qu'alors ils pourraient décider d'attaquer les bases des projectiles pour garantir cela.

 

En définitive, la Maison Blanche fit une déclaration qui fut le reflet des opinions rejetées par les cercles d'orientations plus agressives dans l'administration nord-américaine. Dans cette déclaration, les derniers messages de Moscou furent qualifiés d'inconséquents et de contradictoires. De plus, on confirma une fois de plus l'exigence de la suspension immédiate des travaux qui se déroulaient sur les emplacements de missiles à Cuba , la non-utilisation des armes et leur retrait du territoire.

 

Les participants à cette réunion du Comité Exécutif du Conseil de Sécurité Nationale ne le savaient pas encore mais, pendant qu'elle se déroulait, il s'était produit un fait tragique et aux conséquences imprévisibles dans l'espace aérien de l'Ile...

 

QUAND LE CHEVEU AUQUEL ETAIT SUSPENDUE LA PAIX MONDIALE PERDIT LA MOITIE DE SON EPAISSEUR.

 

J'ai en mains un livre et, depuis une de ses pages, m'observe un homme jeune, aux cheveux courts, au visage régulier et aux traits agréables dans lequel apparaissent deux yeux qui semblent clairs, bien que la photo soit en noir et blanc. L'auteur du livre était Robert Kennedy et le titre « Treize jours ». Le nom de l'homme de la photo : Rudolph Anderson Jr., sa profession : pilote militaire, son destin : abattu en accomplissant une mission au-dessus de Cuba le 27 octobre 1962.

 

De même que le « Marucia » fut le seul bateau abordé et inspecté pendant une « quarantaine » qui avait commencé avec la prétention de ne laisser passer vers Cuba aucun bateau sans qu'il soit contrôlé, le major Rudolf Anderson fut le seul pilote tombé pendant un conflit qui aurait pu conduire au cimetière des dizaines ou des centaines de millions d'êtres humains et même toute l'Humanité, de l'avis de nombreux spécialistes.

 

Le major Anderson était pilote d'avions U-2 destinés à l'exploration photographique à haute altitude et avait réalisé plus de 10 missions au-dessus de Cuba au cours des deux dernières semaines.

 

Ce matin fatidique, un avion U-2 pénétra dans l'espace aérien de l'Ile un peu après 8h et commença à réaliser un vol de reconnaissance le long de celle-ci, survolant les objectifs importants connus, en particulier les emplacements des missiles soviétiques de moyenne portée, et fut abattu avec des missiles antiaériens alors qu'il était sur le point de terminer sa tâche. Pourquoi et sur décision de qui fut abattu le U-2 ? A ce sujet, plusieurs versions ont été diffusées au cours des années, en commençant par dire qu'il avait été abattu par les batteries antiaériennes cubaines, affirmant ensuite que le commandant Fidel Castro lui-même appuya personnellement sur le bouton de tir pour finir par prétendre que certains généraux soviétiques avaient donné l'ordre de l'abattre.

 

Pour l'auteur, il est indispensable d'apporter une nouvelle version des faits qui n'a jamais été publiée.

 

En premier lieu : pourquoi fut-il abattu ? Il n'y avait aucune nécessité militaire de le faire, car cela ne diminuait pas la probabilité qu'ils nous surprennent à un moment donné par le début d'une attaque aérienne surprise, en profitant de l'habitude des vols à basse altitude. De ce point de vue, c'était une idiotie et une folie de permettre que continuent les vols en rase-mottes. D'autre part, l'Ile avait été tellement photographiée depuis les airs pendant les deux dernières semaines que quelques photos de plus ou de moins importaient peu, surtout que pendant les dernières heures, aucune manœuvre importante pour changer d'endroit les unités principales n'avait eu lieu, ni rien de ce style. Les vols continuaient quotidiennement pour garder le contrôle de la marche des travaux sur les emplacements des missiles et sur les travaux d'assemblage des IL-28, en plus de vérifier que le reste des unités restaient sur leurs positions et d'essayer de détecter quelque chose de nouveau pour actualiser les plans élaborés pour l'attaque aérienne surprise. Sûrement déjà, ceux qui analysaient les photos aériennes de la CIA avaient le contrôle même des endroits où vivaient les plus belles femmes de l'Ile.

 

Mais les survols constants avaient d'autres objectifs, selon les généraux du Pentagone : maintenir la pression militaire sur les Soviétiques et les Cubains, humilier ces derniers et les démoraliser tous. En réalité, ils échouèrent en ce qui concerne la démoralisation, car en réalité, ils provoquaient l'indignation, pour ne pas dire autre chose, de plus imagé, des défenseurs de Cuba, cubains et soviétiques. Tous étaient pleins de colère et de courage à cause de la démonstration de force des Yankees avec leurs vols à basse altitude, qui, plusieurs fois furent si bas qu'en se penchant un peu, les avions nous permettaient de voir parfaitement les casques de vol orange des pilotes étasuniens, et parfois on pouvait voir leurs visages. Ils piquaient sur les unités comme s'ils allaient les bombarder et même ils demandaient en clair des instructions pour le faire par leur radio de bord. Tout le monde mourrait d'envie de les abattre d'une façon ou d'une autre mais on avait ordre de ne pas les abattre. Cependant, s'il avait été possible de le faire avec des pierres, Anderson n'aurait pas été la seule victime.

 

Mais par dessus tout, c'était une question de principes car tous ces vols étaient une violation flagrante de notre espace aérien, c'est pourquoi nous avions tous les droits du monde pour les abattre. Quand nous apprîmes dans les tranchées la décision du Commandant en Chef de ne plus admettre les vols à partir du lendemain et de les abattre, nous attendions tous ce qui allait se passer. Beaucoup disaient que le lendemain, ils ne voleraient pas une douce colombe, car à la toute puissante CIA était certainement déjà arrivée l'information concernant cette décision. Il n'en fut pas ainsi, il semble qu'ils n'étaient pas aussi acerbes qu'on les peignait.

 

Le samedi, dans la matinée, les avions qui volaient en rase-mottes apparurent, « se promenant » comme d'habitude et bien qu'on leur ait tiré dessus à plusieurs endroits, ils purent s'échapper sans problèmes. Avec les canons antiaériens et les mitrailleuses qu'avaient les unités cubaines, il fallait tirer des camions et des camions chargés de projectiles pour abattre un de ces appareils rapides et, de plus, ils ne continuèrent pas à voler le reste de la journée. Sans doute, l'avion U-2 qu'on ne voyait pas à cause de l' altitude à laquelle il volait et même dont on n'entendait pas le bruit du moteur, fut celui qui paya les pots cassés. Quand, dans les tranchées, nous apprîmes ce qui était arrivé, ce fut une explosion de joie.

 

Qui donna l'ordre de l'abattre ? Les projectiles de nos mitrailleuses les plus puissantes n'atteignaient pas l'altitude de 3 km, alors que les canons antiaériens de 100 mm, ceux qui envoyaient le boulet le plus haut, ne dépassaient pas les 10 et le U-2 volait à une altitude d'environ 20 km. Les missiles antiaériens, qui seuls, pouvaient les atteindre, étaient seulement dans les mains des Soviétiques . Si bien que comme on le souligne dans certaines œuvres et dans certains récits des événements d'octobre 1962,pendant des années, les Nord-américains pensèrent que cet avion avait été abattu par les Cubains , je ne sais pas, même leurs auteurs ne le croient pas. Pour les Etasuniens, il a toujours été parfaitement clair que c'étaient les Soviétiques qui l'avaient fait. Dans sa célèbre rencontre avec Maria Shriver, en 1992, que nous avons citée plusieurs fois, le Commandant Fidel Castro déclara à ce sujet :

 

« Le plus probable est que, dans l'atmosphère qui s'était créée, quand nos batteries antiaériennes tirèrent sur tous les avions volant en rase-mottes, l'ordre de tirer sur le U-2 naquit dans l'ordre donné à nos forces antiaériennes. Si on me demande qui a la responsabilité, je n'hésite pas à dire que c'est nous. On ne pouvait pas permettre que les vols en rase-mottes continuent, c'était une idiotie et une folie parce que personne ne savait à quel moment pouvait commencer le feu et les handicaps militaires, dans ce cas, étaient terribles.

 

Je pense que jamais on n'aurait dû laisser voler les avions U-2, on aurait toujours dû leur tirer dessus et je fus d'accord pour qu'on tire sur le U-2. On peut regretter la mort d'un pilote mais l'action me semble correcte. »

 

(A suivre)

 

(traduction Françoise Lopez)