DETTE: CEUX QUI SUBISSENT ET CEUX QUI PROFITENT
24 novembre par Damien Millet
Depuis la crise de la dette, le G20 a confié crédit et pouvoir au FMI qui intervient pour la première fois en Europe avec les mêmes recettes qui se sont révélées désastreuses au Sud. Les analyses de Damien Millet porte-parole du Comité pour l’annulation de la dette des pays du tiers-monde.
Entretien par Angélique Schaller
Vous avez travaillé sur la dette du Sud et le FMI. Avant de développer les analogies avec ce qui se passe en Europe, pouvez-vous retracer un rapide historique de cette institution ?
C’est une structure qui a considérablement évolué. Elle a été créée en 1944. L’idée était de prévenir les errements financiers qui avaient conduit à la Seconde Guerre mondiale. Fondé parallèlement à la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) devait garantir la stabilité des monnaies sachant que le taux de change était fixe. Cela a fonctionné jusqu’en 1976 : les taux de change sont devenus libres, faisant du FMI une coquille vide. Parallèlement, les banques détenant ce qu’on appelait les euros-dollars ont cherché à les écouler. Ceux qui étaient alors demandeurs de capital étaient les pays du Sud.
Après dix ans de coquille vide, le FMI a retrouvé une utilité dans les années 80 ?
Suite à la crise de la dette des pays du Sud. Les pays occidentaux les avaient poussés à développer leurs exportations pour obtenir la monnaie nécessaire au remboursement d’une dette libellée en dollars. Mais si l’offre de produits tropicaux a beaucoup monté, avec la récession liée au pétrole en 1973, la demande a baissé. Résultat, les prix ont chuté. Les taux d’intérêt qui étaient indexés à ceux américains ont augmenté. Le Mexique a été le premier à tirer la sonnette d’alarme sur son incapacité à rembourser. D’autres ont suivi. Le FMI est alors devenu l’huissier des créanciers. Il prêtait de l’argent pour aider à rembourser, mais en contrepartie, intervenait sur les choix politiques. Les premiers concernés ont été les pays d’Afrique. Le dragon asiatique va, lui, tomber durant la crise de 1997. Mais globalement, entre 1980 et 2000, tous ont vu arriver le FMI.
Le FMI et ses fameux « plans d’ajustement » ?
Oui, car la priorité absolue était le remboursement de la dette, pas le développement du pays. Dès lors, une seule solution : baisser les dépenses, augmenter les recettes. Les budgets sociaux, l’éducation, la santé, les salaires… Tout devait être revu à la baisse. Tandis que les exportations devaient augmenter. Exit le mil ou le sorgho qui n’ont pas intéressé les exportateurs. Tout a été misé sur le café et le coton. Sans oublier les dévaluations des monnaies pour être plus compétitifs à l’exportation, les privatisations, les augmentations de la TVA… ou encore la possibilité, au nom du libéralisme économique, de permettre aux entreprises étrangères de venir investir sans entrave ni contrainte.
Le cercle vicieux a cependant fini par se rompre ?
Le FMI a fini par perdre en légitimité. Il y a eu les émeutes de la faim associées à des émeutes anti-FMI par les populations, aidées en cela par des élites locales pressées de rejeter la faute sur d’autres. Pourtant, il s’agit bien d’un problème de classe et les élites sont souvent complices du FMI. Des pays commencent à refuser l’aide de cette institution, comme la Malaisie. L’Indonésie aussi finit par comprendre... C’est aussi une période où le FMI connaît des problèmes de gouvernance interne, de plus en plus de pays étant fatigués de se contenter de strapontins quand la direction était systématiquement dévolue à des Européens. Sans oublier enfin, le cours des matières premières qui repart à la hausse après 25 années de baisse. Avec l’éclatement de la bulle internet, des capitaux volatiles cherchent de nouveaux investissements et misent sur les bourses de matières premières qui, tellement basses, ne peuvent que monter. D’autres éléments entrent aussi en jeu, les sécheresses qui font baisser la production, l’émergence des biocarburants… Avec ce cours qui remonte, les pays retrouvent de l’oxygène et accumulent des réserves. Certains remboursent leur prêt de manière anticipée au FMI et au Club de Paris.
Et pourtant, ca continue ?
Oui car on est en train de faire la même chose au Nord. La crise a fourni des opportunités pour imposer les mêmes logiques. Les stratégies sont différentes, ce sont celles du choc décalé. Dans un premier temps, on a laissé des amortisseurs sociaux dont on a même dit que c’était grâce à eux que l’Europe avait mieux résisté à la crise. Pourtant, on les démantèle dans un deuxième temps. Il y a certes des différences avec le Sud. Notamment le fait que la dette est libellée dans les monnaies des pays. Ce qui donne des leviers supplémentaires pour la rembourser comme par exemple le recours à la planche à billet ou l’augmentation des impôts. Mais ces leviers, on se refuse à les utiliser. Et on entre donc dans la même logique d’endettement qui a plombé le Sud.
Pourquoi cela peut-il se reproduire ?
Parce que le clivage est moins nord-sud que de classes : il y a ceux à qui la dette profite et ceux qui la subissent. En théorie, les hommes politiques gèrent l’intérêt commun et les banques des profits. Dans les faits, ils sont tous dans la même logique : ils ont été formés dans les mêmes universités et gravitent dans les mêmes milieux.
Pourquoi les populations acceptent-elles cela comme une évidence ?
Ce sont les périodes de croissance qui sont propices aux revendications, pas celles de crise. Les peuples vivent un stress psychologique très fort, tout est remis en cause et les gens ont peur de perdre le peu qu’ils ont. Là, tout peut passer, tous les discours sur les sacrifices nécessaires même si ces derniers ne sont évidemment pas réalisés par tout le monde.
5 octobre par Abdul Khaliq
• L’accord de confirmation (Stand-By Agreement en anglais) d’un montant de 11,3 milliards de dollars, le huitième du genre conclu avec le FMI, se termine sur une note amère
• Le maintien à distance du FMI pendant plus d’un an ne constitue en rien une bonne nouvelle
Le gouvernement du Pakistan a récemment décidé de dire « adieu » au Fonds Monétaire International (FMI), du moins pour l’instant, avec la fin, le 30 septembre 2011, du programme mis en
place par un accord stand-by de 11,3 milliards de dollars. Il s’agit du huitième accord stand-by conclu avec l’institution depuis que le pays y a adhéré en 1950 et il se termine
une fois de plus sur un échec. Sur les huit programmes, six ont été passés avec des gouvernements démocratiques.
Peu après avoir accédé au pouvoir, en novembre 2008, le gouvernement actuel du Parti du peuple pakistanais(PPP, Pakistan Peoples Party) avait conclu un accord avec le FMI pour un montant
de 11,3 milliards de dollars, dont seulement 7,6 milliards ont été effectivement déboursés, puisque depuis mai 2010, le FMI a suspendu le programme et retenu le versement des 3,7 milliards
restants en raison du non respect des strictes conditionnalités établies dans l’accord. Ce dernier a quand même été prolongé de neuf mois, jusqu’au 30 septembre de cette année, mais les
décaissements n’ont pas été effectués en raison de l’impossibilité d’un accord entre le FMI et le gouvernement pakistanais. Au bout du compte, cette situation a amené le Pakistan à dire adieu au
programme. Le ministre des Finances, Abdul Hafeez Sheikh, l’a clairement indiqué dans une déclaration datée du 17 septembre 2011.
L’éventualité d’un arrêt du programme du FMI plane depuis un moment déjà puisque le Pakistan n’a reçu aucun financement du FMI et de la Banque mondiale depuis mai 2010. Mais la mise à distance du
FMI depuis plus d’un an maintenant n’est en rien une bonne nouvelle. L’opinion la plus répandue est que le gouvernement voulait se débarrasser des conditions imposées par le FMI, non pas pour
opérer un virage radical dans sa politique économique, mais en vue des prochaines élections générales prévues pour le début de 2013.
Des 11 principales conditionnalités exigées par le FMI, trois en particulier se distinguent : la maîtrise du déficit budgétaire, l’introduction d’une taxe sur la valeur ajoutée et la réduction drastique des subventions dans le secteur de l’électricité. Tout gouvernement qui se soumettrait à ces exigences aurait bien peu de chances de conserver sa popularité. Désormais affranchi de ces contraintes, le gouvernement peut dès lors prendre décisions favorables au peuple comme le maintien de prix bas pour l’électricité et la réduction du prix des carburants.
La décision d’abandonner le programme existant avec le FMI est la bienvenue, mais elle ne semble que temporaire et motivée par des visées politiciennes. Ce n’est pas le fruit d’un effort
conscient pour se dégager de l’influence du FMI et venir en aide de manière durable à la population. Il est intéressant de noter que le gouvernement précédent avait aussi abandonné un programme
du FMI prématurément, simplement dans le but de remporter les élections. Le gouvernement actuel semble suivre le même chemin. Bien que les gouvernements acceptent les conditions du FMI durant
leur mandat, dans la période précédant les élections, leur « amitié » avec le FMI devient trop coûteuse politiquement.
La rupture du programme avec le FMI va avoir des conséquences évidentes sur les chances d’obtenir des prêts d’autres institutions multilatérales comme la Banque mondiale ou la Banque asiatique de
développement. Le Pakistan devrait rembourser 1,2 milliard de dollars de capital et d’intérêts au FMI, en deux versements, mais les réserves de change du pays pourraient baisser de 500 millions
de dollars pour atteindre 2 milliards de dollars, contre un niveau actuel de 17,5 milliards de réserves.
A long terme, le gouvernement n’aura d’autre choix que de poursuivre les réformes dans le secteur de l’énergie, l’ajustement et le programme de stabilisation macroéconomique pour gagner en
crédibilité aux yeux du FMI et avoir de nouveau recours à ses services en cas de difficultés relative aux comptes extérieurs. Si cela se produit, ce qui s’ensuivra est presque inévitable :
le Pakistan se verra de nouveau poussé dans les bras FMI, qui risque d’être plus sévère encore la prochaine fois.
Les perspectives en matière de dette au Pakistan vont donc de mal en pis. La dette publique a grimpé de 120 millions de roupies pakistanaises depuis le 1er juillet 2011, suite à la dépréciation
de la monnaie pakistanaise. La dette publique a ainsi atteint 11 000 milliards de roupies, la dette publique extérieure représentant 4 500 milliards de roupies (50 milliards de dollars) et la
dette publique interne s’élevant à 6 500 milliards de roupies (75 milliards de dollars). Le pays consacre environ 3 milliards de dollars chaque année pour rembourser ses créanciers étrangers. Ce
montant sera encore bien plus élevé pour l’exercice 2010, puisqu’il devrait atteindre 5,46 milliards de dollars. Il devrait ensuite exploser en 2014, lorsque les prêts rééchelonnés devront être à
nouveau remboursés ; la dette publique extérieure atteindra alors 75 milliards de dollars.
Par ailleurs, la note du Pakistan se dégrade rapidement principalement en raison des nombreuses implications de son engagement dans la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis. Selon
une étude récente du FMI, 28 pays parmi les plus pauvres ont un risque élevé de subir une crise de la dette. Le Pakistan est cinquième sur cette liste selon le critère de la « probabilité
cumulative de défaut » (cumulative probability of default en anglais, CPD). Les maux dont souffre le Pakistan sont de plus en plus complexes et les remèdes économiques néolibéraux
n’arrangeront rien.
Alors que le pays porte encore les stigmates des dommages économiques causés par les terribles inondations de l’an dernier, il a de nouveau été touché par des inondations cette année. La principale cause de ces inondations est le débordement d’eau du Left Bank Outfall Drainage (LBOD)- un projet de drainage des terres irriguées défectueux financé par la Banque mondiale. Plus de 8 millions de personnes sont cette fois touchées dans la province du Sindh. Des centaines de milliers de personnes se retrouvent sans abri, sans nourriture ni soins médicaux. Il est honteux que le FMI et d’autres créanciers, en pleine violation des droits humains fondamentaux, continuent à forcer le gouvernement à rembourser sa dette alors que des millions de gens crient désespérément à l’aide pour satisfaire leurs besoins élémentaires.
Les programmes du FMI au Pakistan sont lourds de motivations politiques
Le Pakistan rejoignit le FMI en 1950. En 1958, le Pakistan eut recourt pour la première fois à un prêt du FMI. Il s’agissait d’un accord stand-by de 25 millions de dollars, qui fut
annulé peu après. En effet, le Pakistan traversait une période de crise politique et le premier dictateur, le général Ayub Khan |1|, était sur le point de prendre le pouvoir. Dans les années 1960, sous le régime de Ayub Khan, le FMI accorda volontiers son
appui économique par deux accords stand-by, en 1965 et 1968, pour plaire au cher dictateur. Quand le second dictateur, Muhammad Yahya Khan |2|, fut placé à la tête du Pakistan, le FMI continua à prodiguer ses largesses et à apporter sa bénédiction au régime :
quatre accords stand-by, pour un montant de 330 millions de dollars, furent conclus.
Avec le premier gouvernement élu démocratiquement de Zulfikar Ali Bhutto, l’attitude du FMI devint moins bienveillante et l’institution retira le Pakistan de la liste de ses « favoris »
en raison de l’orientation socialiste de ZA Bhutto. C’est pourquoi Bhutto dut dire au Fonds « Allez au diable, nous ne voulons de pas votre argent ».
En 1979, suite au renversement du gouvernement démocratiquement élu de ZA Bhutto par le général Zia ul Haq , le troisième dictateur, plus cruel encore que ces prédécesseurs, l’implication du FMI
changea radicalement de nature et d’ampleur : l’institution prêta sans compter au dictateur. D’après les statistiques, sur une période de 20 ans (1958-1979), le Pakistan conclut des
programmes avec le FMI pour 460 millions de dollars, tandis qu’en novembre 1980, le Fonds accorda la somme de 1,27 milliard au régime de Zia ul Haq |3| au titre du Mécanisme élargi de crédit (Extended Fund Facility), soit trois fois le montant prêté via sept accords
stand-by sur vingt ans.
Il est intéressant de noter qu’après le régime de Zia, il y eut un changement important dans la nature des crédits accordés par le FMI à la fin des années 1980 et durant les années 1990, soit une
période où se succédèrent les gouvernements démocratiques du PPP et du PML (Pakistan Muslim League, Ligue musulmane). Des conditions plus strictes et complexes furent attachées aux prêts
octroyés. Le nombre de conditionnalités liées aux prêts accordés dans le cadre de l’ajustement structurel passa d’une moyenne de 27 en 1985 à 56 en 1989, sous le gouvernement de Benazir Bhutto
(1988-91). Les conditionnalités du prêt de 1988 furent les plus sévères dans l’histoire des relations entre Pakistan et le FMI.
Les recettes anti-sociales du FMI ont été appliquées tout au long des années 1990. Mais l’arrivée soudaine d’un nouveau dictateur, le général Pervez Musharraf en 1999, couplée aux événements du 11 septembre 2001, marquèrent un fléchissement de l’attitude du Fonds, qui se montra, comme à son habitude, complaisant à l’égard du nouveau dictateur pakistanais. Quand le régime de Musharraf accepta de se rallier à la « guerre contre le terrorisme » déclarée par les États-Unis, le FMI se montra plus clément quant à l’octroi d’un financement concessionnel dans le cadre de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (Poverty Reduction and Growth Facility). Il n’est pas inintéressant de rappeler qu’une semaine avant le 11 septembre, les possibilités du Pakistan de se voir accorder ce financement étaient minces.
Ce qui précède démontre que ce revirement du FMI à l’égard du Pakistan fut le résultat d’une entente politique entre le général Musharraf et l’administration états-unienne, en contradiction avec une prétendue éthique de neutralité en matière d’emprunts multilatéraux.
Notes
|1| Général en chef de l’armée pakistanaise, il s’empare du pouvoir et impose une dictature militaire d’octobre 1958 à mars 1969 (NDT).
|2| Après avoir été général en chef de l’armée pakistanaise, il fut le successeur désigné de Ayub Khan dans le cadre de la dictature militaire qui régnait alors au Pakistan. Il fut président de mars 1969 à décembre 1971 (NDT).
|3| Auteur du coup d’Etat contre Zulfika Ali Buttho, père de Benazir, qu’il fit pendre. Il fut président de 1978 à 1988, date à laquelle il trouve la mort dans un accident d’avion (NDT).
Traduit par Stéphanie Jacquemont et Cécile Lamarque