UNE AUTRE ECONOMIE EST NECESSAIRE ET POSSIBLE
Marc Vandepitte, philosophe et économiste Belge
Le capitalisme est confronté à une grave crise sur plusieurs fronts [1]. Par conséquent, le monde a besoin urgemment d’un système économique différent. D’abord, ce texte établit un diagnostic des défauts du capitalisme en partant de sa contradiction fondamentale. Ensuite, il s’agira de dégager quelques lignes directrices pour une alternative réalisable. En raison de son importance, la question de « la croissance par rapport au développement économique » sera abordée. Enfin, la conclusion consistera en quelques propositions pratiques et concrètes pour un programme économique alternatif [2].
Introduction : la valeur d’usage et la valeur d’échange
La différence entre la valeur d’usage et la valeur d’échange est la contradiction fondamentale de l’économie capitaliste. En effet, chaque marchandise et chaque produit a une valeur d’usage et une valeur d’échange, mais c’est à partir de cette dernière que les profits sont générés, ce qui en fait la source de l’accumulation. Pour maximiser les profits et l’accumulation, chaque acteur économique dans le système capitaliste réduit les produits et services à leur valeur d’échange et tente de produire cette valeur autant que possible. Cette maximisation n’est pas une question d’ambition ou d’effort, c’est une nécessité en raison des lois inhérentes à la gestion du système.
La maximisation du profit et l’accumulation des richesses ont engendré une dynamique colossale qui a vraiment changé le monde et à travers lesquelles l’histoire a pris son élan. Le capital a conquis le monde avec la force d’un tsunami. Pourquoi ? Pour maximiser les profits, le capital essaie de transformer chaque bien, chaque produit, toutes les activités humaines, et même les activités naturelles, en valeurs d’échange. Mais cette transformation est un processus radical qui est loin d’être simple. Elle suppose que le capital domine, soumet et exploite tous les biens et activités qu’il veut convertir en valeurs d’échange. Cette dialectique est un processus infini de subsomption, de subordination [3]. Il s’agit d’un processus qui va au-delà du mercantilisme, consistant à convertir des biens en marchandises. Car c’est aussi modeler et recréer la planète entière, la société tout entière, toutes les idées et relations sociales, en les subordonnant aux besoins du capital. En d’autres termes, le capital agit comme le démiurge permanent de la société.
Ainsi, il est important de voir que le paradigme économique de base fait partie d’une écrasante dynamique. Une chose ne peut pas être séparée d’une autre. Pour changer ou transformer le paradigme économique, il faut arrêter et briser toute cette dynamique. Tout comme il faut arrêter ou neutraliser les lois de la gravité pour pouvoir voler dans les airs.
1. Dynamique vorace
1.1 L’iniquité et la balance du pouvoir
L’accumulation sans fin du capital -fondée sur l’exploitation de la force de travail- a suscité la création de richesses à un rythme et sur une échelle sans équivalent dans l’histoire humaine. Cependant, le mécanisme fondamental est contradictoire : plus bas est le salaire, plus élevé est le gain. En effet, la polarisation est un mécanisme intégré dans le système, puisque la richesse est concentrée entre les mains des propriétaires des moyens de production. En Belgique, mon pays, les 10% les plus riches possèdent plus de 50% de la richesse nationale. Aux États-Unis, le 1% le plus riche possède près de 30% de la richesse [4]. Mais la richesse, c’est aussi le pouvoir. La concentration de la richesse va de pair avec la concentration du pouvoir. Le pouvoir réel dans tous les pays capitalistes est entre les mains d’une petite élite. Ils ont le pouvoir sur les leviers de l’économie et des finances ; ils contrôlent les médias et déterminent la marge de manœuvre des politiciens. Ils célèbrent leur messe annuelle à Davos.
Ce mécanisme de concentration et de polarisation se reproduit au niveau international : par exemple, l’exploitation du Sud par le Nord. La division internationale du travail s’est établit et organisé afin d’assurer le transfert de la richesse du Sud vers le Nord. Samir Amin affirme à juste titre que le conflit Nord-Sud (centre-périphérie) est une partie essentielle de l’histoire du capitalisme [5]. La polarisation entre riches et pauvres est incroyable. Le revenu de 950 multimillionnaires surpasse les revenus de 40% de la population mondiale [6]. C’est la même chose avec la balance du pouvoir militaire. Les États-Unis, avec 4,6% de la population mondiale, génèrent 43% de la dépense militaire mondiale [7].
1.2 La force de travail
La force de travail, en tant que source de plus-value (profit) et d’accumulation, est le bien par excellence pour la valeur d’échange. Nous pouvons exister aussi longtemps que nous vendons notre travail sur le marché [8]. La subordination du travail aux besoins capitalistes conduit à l’exploitation (850 millions de travailleurs, soit 28% du total, sont considérés comme des « travailleurs pauvres » [9]), à l’aliénation, au travail dans des conditions inhumaines ou de stress intolérable, au travail informel (entre 52% et 78% dans le Sud) [10] ou au chômage structurel (7% au niveau mondial) [11]. Les activités en fonction de la reproduction, principalement menées par des femmes, ne sont ni payées ni valorisées.
1.3 Le marché
Le capitalisme n’a pas inventé le marché. Le marché local, mais aussi international, existait de nombreux siècles avant le capitalisme. Le capitalisme n’a pas aboli le marché, il l’a simplement utilisé et transformé pour ses besoins, et plus spécifiquement pour les besoins des acteurs les plus forts. Le marché capitaliste n’a rien à voir avec le marché libre : c’est un marché oligopolistique et géré. Cela signifie que dans chaque secteur, un groupe multinational domine tout et -avec l’aide de « son » État monopoliste- impose les règles. La concurrence est éliminée quand elle lui est nuisible et imposée quand elle lui est bénéfique. Les monopoles capitalistes sont des économies planifiées sur une échelle qui dépasse l’économie des pays.
Jusqu’à pas si longtemps, le marché « réel » était le marché des biens et services. Toutefois, la domination de la valeur d’échange sur la valeur d’usage a aussi transformé profondément le marché capitaliste. Normalement, la valeur d’échange est créée par la vente de produits ou services qui ont une valeur d’usage. Mais il vaut mieux créer de la valeur d’échange sans produire des biens ou de services, et donc sans la déviation de la valeur d’usage. C’est ce que font les marchés financiers. À l’heure actuelle, ces marchés financiers ont dépassé les marchés de l’économie réelle dans des proportions absurdes et dangereuses. Même Financial Times l’admet, « l’exemple le plus évident et meurtrier de cette folie a été la croissance du marché des dérivés non réglementés, qui a explosé en taille en 600’000 millions de dollars ». Ce géant de la spéculation équivaut à 40 fois les échanges mondiaux de biens et de services. Il est également équivalent à près de 10 ans de la production globale de l’économie ou à presque 100’000 dollars par personne sur la terre [12].
1.4 L’État monopoliste
Une partie très importante du processus de subsomption est « l’occupation silencieuse » (silent takeover) de l’État par le capital [13]. Sous le capitalisme, le rôle du gouvernement n’est destiné ni à renforcer ni à défendre le bien commun, sa priorité n’est pas non plus de donner une vie décente à ses citoyens ni de promouvoir la culture et le développement social. L’objectif principal est de fournir les meilleures conditions possibles (infrastructures, faibles coûts, faibles impôts, bas salaires, etc.) pour faire prospérer les affaires. Si cela exige la guerre, elle est menée, comme l’illustre les bombardements des États-Unis depuis 1945 [14].
L’« État européen » est également un bon exemple de cette occupation silencieuse. L’entité politique la plus puissante de l’UE est la Commission européenne. Presque tous les Commissaires actuels étaient antérieurement des Directeurs exécutifs, et la petite minorité qui ne l’était pas, le sera probablement à l’avenir. Le Parlement n’a presque pas de pouvoir réel et pour chaque député il y a au moins une quinzaine de personnes faisant du lobbying et exerçant des pressions [15]. La crise financière et ses répétitions postérieures montrent la complète subordination des politiciens aux diktats des hautes sphères de la finance.
1.5 La colonisation de l’esprit
Pour gouverner, le soutien de l’opinion publique est indispensable. Cette opinion publique est de plus en plus façonnée par les médias, lesquels sont presque entièrement dans les mains des grands capitaux. Là aussi, il y a eu une occupation silencieuse. Même l’industrie militaire fait partie ce cette occupation. Dassault, le fabricant d’armes françaises, est un excellent exemple. La déclaration suivante de Marcel Dassault, son fondateur, parle pour elle-même : « Mon groupe doit avoir un journal ou un article pour exprimer son opinion et probablement aussi pour répondre à quelques journalistes qui ont écrit d’une manière très désagréable. Je suis fatigué d’être insulté dans plusieurs journaux par des gens incompétents qui ne connaissent pas les vrais problèmes. Donc, je veux être en mesure de répondre » [16]. Aujourd’hui, il contrôle plus de 70 journaux et magazines. Ce n’est qu’un exemple. Selon des calculs, 70% du journalisme écrit français est maintenant entre les mains de l’industrie de l’armement [17]. Le résultat de cette décision est que le débat public n’est plus dans les mains des citoyens, mais est contrôlé par les grands médias. Certes, les médias commerciaux sont devenus de véritables experts dans la « fabrication du consentement » [18]. Donc pas surprenant que, même après les évidentes débâcles en Afghanistan et en Irak, l’élite ait réussi presque sans problèmes à convaincre l’opinion publique qu’une nouvelle aventure militaire en Libye était nécessaire. Si cela est vrai pour partir en guerre, ce sera également vrai pour les discussions à propos du Bien Commun de l’Humanité.
1.6 La fabrication du goût et de l’identité
Normalement, on devrait s’attendre à ce que l’économie produise ce que le consommateur a besoin ou envie. Mais le capitalisme a inversé l’ordre. La production est orientée vers la maximisation des profits pour les producteurs et non vers les besoins des consommateurs. Cela encourage la production de biens superflus à faible coût et de produits de faible qualité qui rapidement sont substitués par d’autres. Le résultat en est la tyrannie des cycles de la mode, une culture de déchets et de tas d’ordures [19]. Mais cela va bien au-delà de façonner le goût. L’identité de l’homme est affectée par cet investissement. Tout comme Dieu dans la Bible, le Capital a créé un nouvel Homme et une nouvelle Femme à son image et ressemblance, où la mode de posséder prévaut à la mode de l’être. L’identité du nouvel Homme nouveau se trouve par le biais des produits [20]. Pour fabriquer le nouvel Homme et la nouvelle Femme, une véritable industrie de séduction s’est mise en place : marketing et publicité. Cette mise à disposition de nos désirs les plus subliminaux et irrationnels peut être considérée comme l’Armée de l’Air du capitalisme. Il faut noter que les dépenses totales en marketing dépassent la dépense militaire annuelle au niveau mondial [21].
1.7 Le contrôle du climat
La subsomption de la nature par le capital a un impact énorme et dangereux sur le climat. Il est de plus en plus clair que la logique du capitalisme ne peut pas stopper le réchauffement climatique. Par conséquent, il faudra choisir : sauver le climat ou sauver le capitalisme. Il semble que maintenant l’élite capitaliste a opté pour la seconde. The Economist, probablement le magazine le plus influent du monde et porte-parole de l’élite capitaliste, dit : « L’action globale n’arrêtera pas le changement climatique. La lutte pour limiter le réchauffement global à des niveaux tolérables est terminée ». Nous ne devons pas essayer d’arrêter le réchauffement climatique, « le monde doit prêter plus d’attention à la façon de vivre avec lui ». L’élévation du niveau de la mer sera probablement d’un mètre, peut-être deux. Nous devons accepter cela et nous préparer à construire des barrages, déplacer des dizaines de millions de personnes dans des endroits plus élevés, adapter les soins de santé au danger des maladies tropicales, etc. Pas de chance pour les gens du Sud : ils seront les plus durement touchés et ils n’ont pas les moyens « pour s’adapter ». Pas de doute, le changement climatique offre de nouvelles possibilités à la classe des affaires. Les entreprises qui construiront les digues et les compagnies d’assurance verront leurs affaires se développer. L’échange des droits d’émission est une autre source prometteuse de revenus. Et bien sûr, il y a des occasions en or dans le domaine de la technologie verte et de l’énergie [22]. Voilà pour The Economist.
La commissaire de l’Union européenne pour le climat, Connie Hedegaard, est dans la même fréquence. Dans le passé, elle a parlé de « responsabilité morale », de « la survie de l’humanité ». Ce n’est plus une priorité, maintenant ce qui compte, ce sont les affaires. Lors du Sommet mondial de Cancun, elle a dit, « ceux qui au final amélioreront l’efficacité énergétique et l’innovation pourront économiser de l’argent ». Et ceux qui ne le font pas, a-t-elle averti, courront le risque de se faire dépasser par la Chine [23]. Greg Barker, ministre britannique du changement climatique, a déclaré que l’accord de Cancun « enverrait un signal fort de confiance aux entreprises pour investir des milliards dans la nouvelle économie verte mondiale ». Selon Financial Times, les entreprises ont bien accueilli le résultat de ces discussions... [24].
1.8 La hiérarchie de la société [25]
Le capitalisme a représenté une rupture avec toutes les sociétés antérieures. Depuis 500 av. J.-C, toutes les sociétés ont été caractérisées par la même hiérarchie entre les différentes sphères, à l’exception des sociétés primitives dans des endroits éloignés. Le philosophe grec Aristote a analysé en détail le type idéal de cette société. L’économie (oikos) était au plus bas niveau et était subordonnée au niveau politique (polis). Mais la politique, responsable de la distribution de la richesse et de la disposition de l’ordre social, ne pouvait pas tenir debout par elle-même, elle était -comme l’économie- subordonnée à autre chose. Les décisions dans ce domaine n’étaient pas juste une question de majorité ou d’hégémonie, mais elles étaient déterminées et guidées par un ensemble de valeurs, idéaux et idées, bref, par le désir du bonheur (eudamonia) ou du Bien Commun
Bien sûr, nous ne devrions pas idéaliser les sociétés anciennes. Dans la société décrite par Aristote, les citoyens étaient exemptés de travail, effectué par les esclaves. Pourtant, sa description offre un modèle intéressant, parce que la société tout entière était axée vers le plus précieux : le bien vivre.
Le capitalisme a renversé la hiérarchie entre les sphères. La sphère économique en a toujours été à la tête : petite entreprise familiale dans un premier temps, aujourd’hui les géantes transnationales dominent le marché mondial et concentrent des quantités sans précédent de capital et de moyens de production. Comme il a été indiqué précédemment, la sphère politique est complètement subordonnée aux pouvoirs oligopolistiques. Enfin, la sphère des valeurs et des idées est aussi soumise aux intérêts économiques. Les valeurs promues au sommet sont le consumérisme, le prestige, l’individualisme exclusif, l’auto-développement, la loi de la jungle, la suprématie de la race blanche et de la civilisation occidentale. Le cynisme et le pragmatisme avancent sans limite. Les gens qui se battent pour un monde meilleur sont accusés de songeurs et d’écervelés.
2. Contre-dynamique
Pour réaliser le Bien Commun de l’Humanité, nous devons stopper le Mal Commun. Cela signifie que nous devons arrêter la dynamique décrite ci-dessus et installer une nouvelle dynamique. Cette nouvelle dynamique ou logique est en quelque sorte une réflexion et un antitype du point précédent.
2.1 Bien vivre
La tâche la plus importante est de rétablir la hiérarchie des sphères. De ce point de vue, Aristote est très utile, mais il faut reconnaître que la nature et l’environnement n’étaient pas présents dans sa vision. Nous devons ajouter cette dimension vitale. Les traditions indigènes (p. ex. Pacha Mama) peuvent être très utile à cet égard. Le bonheur (eudamonia) doit se compléter avec le respect de la nature. Je pense que cette combinaison s’approche de la signification du concept du bien vivre.
Tout d’abord, la sphère économique doit se soumettre à la politique. La distribution du capitalisme et la distribution des gains économiques, le commerce et le finances, etc. doivent se subordonner aux priorités et aux besoins de la communauté, des générations présentes et futures. Cela implique l’adaptation de l’économie dans un cadre démocratique de responsabilité sociale citoyenne [26]. Deuxièmement, tant les activités économiques que les décisions politiques doivent être imprégnées de valeurs comme la tendresse et le soin (pour l’homme et la nature), l’équité, la solidarité, la coopération, la responsabilité, l’altruisme, le respect et la dignité [27].
La Révolution russe d’Octobre (1917) et la Révolution chinoise (1949) furent les premières tentatives de rompre avec le système capitaliste et sa logique. Les deux sociétés ont changé la hiérarchie capitaliste des sphères. En Union soviétique -et plus tard dans le Bloc de l’Est- la sphère économique fut soumise par la sphère politique, notamment par le parti communiste. Mais pour de nombreuses raisons, les sphères des idées et des idéaux ont été progressivement négligées, marginalisant le peuple de la ligne politique. Il y a eu une brèche entre les dirigeants et le peuple, et le système a fini par s’effondrer.
La Révolution chinoise a également subordonné l’économie à la politique, mais a essayé d’aller un peu plus loin. La Révolution culturelle (1966-1976) était une tentative pour permettre aux idées et aux valeurs révolutionnaires de triompher sur tout le reste, négligeant ainsi la sphère économique. Il s’agissait d’une tentative forcée et brutale qui a échoué complètement. Par pure nécessité, cette révolution fit un pas en arrière : la sphère économique reçut plus d’espace et la sphère des valeurs et des idées fut rétrogradée au pur pragmatisme.
D’une certaine manière, l’éveil islamique dans les dernières décennies est aussi une tentative pour rétablir une meilleure hiérarchie entre les sphères. Toutefois, ces tentatives sont en quelque sorte anachroniques ou parfois démontrent un déficit démocratique [28].
À mon avis, les pays de l’ALBA comme Cuba, le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie sont des sociétés qui ont été proches de la restructuration de la hiérarchie des sphères, ou bien essayent de le faire. Je me limiterai à Cuba qui est le pays que je connais le mieux [29]. Les sources d’inspiration de la Révolution cubaine furent Marx et Lénine, mais José Martí le fut aussi. Il en est résulté une combinaison originale, dans laquelle la conscientisation, les idées, l’éthique et même l’utopie occupent une position de premier plan, à la différence du marxisme classique, où ces aspects sont soit marginalisés ou exclus. De mon point de vue, la contribution la plus importante de la révolution cubaine au marxisme est la réintégration des dimensions éthiques et utopiques [30]. Mais aussi dans la question du climat, la Révolution cubaine est à l’avant-garde. Déjà en 1992, à la conférence de Rio, Fidel Castro a averti que la survie de l’humanité était en danger [31]. Le développement durable est une priorité, et ce n’est pas par accident qu’un ingénieur cubain a reçu le Prix Goldman pour l’environnement (équivalant à un Prix Nobel Vert) en 2010 [32].
2.2 Autodétermination du travail
Donner la priorité à la valeur d’usage sur la valeur d’échange doit s’appliquer avant tout à la force de travail. La force de travail ne peut plus se regarder ou être instrumentaliser comme « une chose », comme un bien qui peut être acheté et vendu sur le marché. La force de travail doit prendre son indépendance de manière qualitative. Cela implique que nous devons mettre fin à la marginalisation et abolir l’exploitation. Les travailleurs doivent contrôler les conditions de la production et dominer leurs propres produits.
La force de travail autodéterminé consiste à aller au-delà de la dépendance personnelle et matérielle [33]. Premièrement, nous devons finir avec la domination exercée par les propriétaires des moyens de production sur les personnes, qui pour survivre doit « vendre » leur force de travail. Les travailleurs doivent devenir de véritables sujets de leur travail et de leur activité de vie ; ils doivent devenir des producteurs libres et associés. Deuxièmement, nous devons mettre fin à la domination du produit sur le producteur. Dans les mots de Foster et d’autres : « L’objectif ultime est le développement intégral de chacun des pouvoirs humaines... Cela nécessite la création de temps libre et la distanciation de la société de la chaîne de production » [34].
Pour atteindre cet objectif, il faut mettre fin à la propriété privée des principaux moyens de production. C’est la condition nécessaire pour l’autodétermination de la force de travail. Cela ne signifie pas un contrôle total de l’Etat, mais le contrôle de l’économie par un organisme (élu) politique et non par les propriétaires privés. De toute façon, cela signifie que la logique économique est subordonnée à l’Etat et non le contraire.
2.3 L’égalité substantielle et la fin de la domination
Le capitalisme actuel engendre des inégalités sur une échelle encore jamais vue dans l’histoire. L’abolition de la disparité scandaleuse est essentielle dans la lutte pour la cause du Bien Commun. Parce que, comme le définit Mészáros, seulement avec ces bases il sera « possible, dans un mode historiquement durable, de prévoir les formes nécessaires de médiations non antagonistes entre les êtres humains à tous les niveaux » [35]. Et cela concerne l’égalité à tous les niveaux possibles : Nord / Sud, richesse dans les frontières nationales, rapports de production (voir point précédent), genre, préférence sexuelle, origine ethnique, foi, etc. Tout que les gens du Sud sont victimes du système et que les gens du Nord en tirent profit, le Bien Commun sera hors de discussion [36]. Il en est de même pour les autres inégalités mentionnées. Wilkinson et Pickett montrent de façon convaincante que l’inégalité entre les pays riches provoque une grande quantité d’effets pervers ou dangereux. Entre autres, la qualité de vie se raccourcit et diminue ; les indices de violence, de grossesse chez les adolescentes, d’addiction et d’emprisonnement augmentent ; et la consommation excessive est fomentée [37].
Pour ce faire, il faudra démanteler certains blocs de pouvoir existants. Et j’utilise délibérément le mot « démanteler », car tant que ces blocs de pouvoir existeront « la démocratie généralisée » sera impossible. Ce sont les plus hautes sphères du capital qui ont des économies entières sous leur pouvoir et condamnent des millions de personnes à la misère et la pauvreté, celles qui nous traînent à la guerre, cultivent l’apathie politique et la fausse conscientisation et, de plus, provoquent une dégradation massive du climat. Ce sont ces hauts lieux qui ont pris le contrôle de notre éducation, notre système de santé de santé, nos médias et nos gouvernements et, surtout, ce sont ces hauts lieux qui décideront ce qu’il faut faire (ou ne pas faire) sur le réchauffement climatique. Dans les mots de Hedges, ce sont eux les « ennemis mortels qu’il faut vaincre » [38]. Nous aurons à démanteler trois CIM : le Complexe Industriel du Marketing, le Complexe Industriel des Médias et le Complexe Industriel Militaire (militaro-industriel). Et aussi l’OTAN et toutes les bases militaires à l’étranger. Nous aurons à détrôner les géants financiers et industriels et ses institutions internationales partenaires.
2.4 Planification
Dans le passé, le souci de l’environnement n’était pas inclus dans les économies socialistes planifiées [39]. Il y avait des lacunes importantes dans la planification socialiste. Mais ce n’est pas une raison pour se débarrasser de la planification. La planification économique en Union soviétique fut la première expérience pour subordonner le marché aux besoins des citoyens. En tant que tel, il y avait de nombreuses erreurs de construction, mais c’était une mise en œuvre particulière de la planification, et c’est la même chose pour la Chine. D’autres modèles sont souhaitables et possibles, et surtout ils seront nécessaires. La planification sera nécessaire pour relever les défis écologiques immenses et urgents. Elle sera également nécessaire pour définir les besoins fondamentaux de l’être humain pour toutes les personnes de la planète et pour réduire les inégalités mentionnées précédemment. Elle sera souhaitable pour élever le niveau cultuel et les standards de vie de tous.
Le fait que le marché ne peut répondre aux besoins de base peut facilement s’illustrer avec deux secteurs clés : l’alimentation et la santé. L’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (la FAO par ses sigles en anglais) estime qu’un investissement public annuel dans l’agriculture et l’alimentation de 24’000 millions de dollars, associé à un investissement privé supplémentaire, stimulerait le PIB de 120’000 millions - donnant comme résultat des vies plus longues et en meilleure santé. Au contraire, en raison de la faim, les pays pauvres perdent 450’000 millions de dollars chaque année [40]. L’investissement nécessaire est un modeste 8% de la subvention qui est accordée aux agriculteurs dans le Nord (ce qui entrave les marchés du Sud et provoque donc la faim). Et le gain serait de 500% ! Sans oublier les millions de vies qui pourraient être sauvées. Et le montant à investir est très modeste : 24’000 millions représentent environ 0,004% du chiffre d’affaires du marché des produits dérivés. Néanmoins, la fonction du marché n’est pas en mesure de mettre en œuvre ces investissements nécessaires. C’est la même histoire pour les soins de santé : selon l’Organisation Mondiale de la Santé, un investissement annuel de 35’000 millions de dollars, approximativement 1% de la dépense de santé des États-Unis et de l’Europe, serait suffisant pour sauver huit millions de vies à l’année et donnerait un rendement annuel d’au moins 360’000 millions de dollars [41]. Nous pouvons avoir la certitude d’une chose, les centaines de millions de personnes malades sur cette planète ne vont pas guérir grâce à la Main Invisible.
On pourrait définir la planification économique comme la capacité d’imposer des objectifs démocratiquement décidés pour le développement économique durable [42]. Il y a différents degrés et niveaux de planification. Nous sommes entièrement d’accord avec Mészáros pour qui la planification doit se mettre en œuvre d’une manière qualitative, c’est-à-dire en rapport avec les besoins humains vitaux et qu’il faut éviter l’application de la planification bureaucratique. Et cela ne peut être évité que lorsque le travail sera émancipé (voir ci-dessus) [43].
3. Croissance ou développement ?
La majorité des écoles de pensée économique identifie le progrès avec la croissance économique. Sans doute que grâce à l’accumulation capitaliste dans le passé, nous avons vu un progrès sans précédent et un grand développement, quoique de façon très inégale. Ce développement et cette création de richesses sont, sans aucun doute, le mérite et le rôle historique du capitalisme. Mais, à un certain moment, le capitalisme a atteint ses limites. Il est devenu inefficace et il n’est plus capable de jouer ce rôle dans l’histoire. Je veux donner corps à ce point avec quelques faits et chiffres et en posant la question si « une autre croissance », par exemple la croissance en harmonie avec la nature, est-elle possible, et aussi quels sont les pièges.
3.1 Pauvreté et richesse
La croissance elle-même est souhaitable et nécessaire lorsque les ressources sont insuffisantes pour fournir une vie décente à toutes les personnes sur la terre. Quelle est la situation actuelle ? Une famille moyenne mondiale est composée de deux adultes et trois enfants. Si la richesse est répartie équitablement, cette famille moyenne aurait un revenu disponible de 3’100 dollars par mois [44]. C’est plus que suffisant pour donner à tous les habitants de cette planète santé, électricité, eau et une maison confortable, quoique cela se produirait selon des normes durables. Néanmoins, 40% de la population mondiale n’a pas les conditions de santé de base, une personne sur quatre ne possède pas d’électricité et une personne sur six n’a pas d’eau courante ni un logement décent [45]. Pour le dire autrement, tout le monde pourrait avoir avec la richesse produite aujourd’hui -en moyenne- un revenu disponible de 19 dollars par jour, alors qu’en réalité, une personne sur cinq dispose de moins de 1,25 par jour [46].
Par conséquent, il n’est pas nécessaire que l’économie croisse pour couvrir les besoins de base et éradiquer l’extrême pauvreté dans le monde. Tout d’abord, parce que la quantité nécessaire pour atteindre ces objectifs de développement est très faible, presque une cacahuète, et d’une autre part parce que certaines dépenses inutiles sont incroyables et vraiment scandaleuses. Il faut seulement changer certaines priorités dans ce monde. Un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) datant de 1998 fait la liste de tous ces points d’une manière un peu cynique. Les dates et même le titre sont de cette institution des Nations Unies [47].
Réfléchissant sur ce sujet, James Wolfensohn, ancien président de la Banque mondiale a écrit : « Nous vivons dans un monde de six milliards de personnes, parmi lesquels le milliard de personnes qui vit dans le monde riche contrôle 80% du revenu et les cinq milliards qui se trouvent dans le monde en voie de développement, qui sont plus de 80% du monde, disposent seulement de 20% du revenu. Si un martien venait sur la terre pour faire un rapport sur nous et commençait avec les Objectifs du Millénaire, puis qui verrait ce que nous faisons, il repartirait avec les conclusions suivantes. Il dirait, vous savez, ces gens sont intéressants (...) Ils utilisent 900’000 millions de dollars ou plus par an en dépenses militaires. Ils dépensent 350’000 millions de dollars chaque année en subventions agricoles et protections tarifaires. Et ils dépensent juste 56’000 millions de dollars par an sur les choses qu’ils ont dit qu’ils voulaient faire. Et de ces 56’000 millions, probablement seulement de 30 on obtient les résultats escomptés. Donc, (...) le martien repartirait à son vaisseau spatial et dirait qu’il ne faut pas se soucier de la Terre. Ils ne font même pas ce qu’ils disent qu’ils vont faire » [48].
On peut fort bien soutenir que ces chiffres sont intéressants et qu’ils montrent clairement le monde surréaliste dans lequel nous vivons. Mais éradiquer la pauvreté ou la misère est plus que des mathématiques. C’est plus qu’un transfert d’argent. Tout d’abord, ce sont les structures et il est loin d’être certain que l’investissement de l’argent nécessaire -chaque année environ 80’000 millions de dollars, soit 0,19% du PIB des pays riches [49]- change fondamentalement la situation. Par ailleurs, qu’en est-il du développement durable ? Nous devons donc répondre à deux questions : 1. Le développement humain est-il possible avec un faible PIB par habitant ? 2. Un développement humain élevé peut-il se combiner avec une faible empreinte écologique ?
3.2 Développement humain élevé et faible PIB par habitant
Cuba a la réponse pour ces deux questions, elle est affirmative, et je suppose que la même chose est vraie pour l’Etat indien du Kerala [50]. Cuba dispose d’un PIB par habitant qui est environ dix fois plus faible que les pays de l’OCDE et classé à la 75e place au niveau mondial. Mais son Indice de Développement Humain est comparable à celui de la Belgique, un pays connu pour avoir un des meilleurs systèmes de sécurité sociale dans le monde et, de plus, qui est supérieur à celui du Royaume-Uni [51]. Le graphique ci-dessous est éloquent [52]. La ligne en pointillé est le résultat de l’OCDE, le club des trente pays les plus riches. En termes de mortalité infantile, espérance de vie, nutrition (enfant avec insuffisance pondérale), éducation (pourcentage de l’enseignement primaire et secondaire), Cuba obtient un score proche de la moyenne calculée par l’OCDE pour les trente pays les plus riches. Mais en termes de PIB par habitant, Cuba est loin en dessous. Ce graphique montre que, avec relativement peu de ressources économiques, on peut atteindre un niveau élevé de développement humain. En outre, il faut noter que Cuba a réalisé tout cela dans un environnement hostile.
Si l’on extrapole ce fait pour le monde entier, on confirme que comme mentionné précédemment, il n’est pas nécessaire de débloquer de grandes quantités d’argent pour éradiquer la pauvreté extrême dans le monde. Cuba montre que ce n’est pas une possibilité en théorie, mais que c’est réaliste et réalisable. C’est réconfortant de le savoir. Mais, c’est également réconfortant dans la direction opposée. Les pays dits riches pourraient maintenir leur haut niveau de développement, même en inversant leur croissance économique.
3.3 Haut développement humain et faible empreinte écologique
Face à la question si un développement humain élevé est possible avec une faible empreinte écologique, Cuba démontre une nouvelle fois que c’est possible. En général, c’est l’un ou l’autre. Les pays ayant un indice de développement humain (IDH) élevé ont une empreinte écologique élevée et les pays avec un petit IDH ont une faible empreinte écologique. Les pays émergeants n’ont aucun des deux, mais certains d’entre eux sont à courte distance de la zone qui combine une empreinte forte avec un IDH élevé. Malheureusement pour eux, comme l’indique le schéma, les tendances ne s’inclinent pas dans la bonne direction. Tout en acquérant un plus haut développement humain, l’empreinte dépasse le niveau durable. Cuba est l’exception à nouveau. C’est un pays avec un niveau de vie élevé et un modèle à faible consommation [53]. Là encore, on peut lire l’information dans les deux sens. Pour les pays pauvres et émergents qui veulent atteindre un meilleur développement social, il n’est pas obligatoire d’avoir une empreinte écologique plus grande. A l’inverse, les pays riches peuvent abaisser le niveau de leur impact environnemental sans perdre nécessairement leur qualité de vie.
3.4 Croissance quantitative
Ainsi « une autre croissance » et même une « décroissance » est non seulement nécessaire, mais aussi possible. Nous devons rejeter les illusions consuméristes et orienter l’économie vers un développement en harmonie avec les limites de la nature [54]. Selon Foster et d’autres, la croissance quantitative doit être substituée par une croissance qualitative. Cela signifie « faire une pause à la pure croissance quantitative (dans ses termes agrégés comme mesurée actuellement) dans les pays riches et ensuite inverser la croissance tout en élargissant qualitativement le rang des capacités, des possibilités humaines et de la diversité de la nature » [55]. Pour atteindre ce but, il faut de nouvelles mesures de l’activité économique. Il y a eu récemment des propositions intéressantes, comme le remplacement du PIB par l’Indice de Progrès Véritable (IPV) ou par l’Indice du Bien-Etre Economique durable (IBEE) [56].
L’idée d’une modification fondamentale de la logique économique est en train de gagner du terrain dans les milieux gouvernementaux. A la Conférence Mondiale des Peuples sur le Changement Climatique et les Droits de la Terre Mère à Cochabamba, en avril 2010, Maria Fernanda Espinosa, Ministre du Patrimoine Culturel de l’Equateur s’est déclarée en faveur d’une réforme radicale de l’économie : « Nous ne devons plus croître ni accumuler. Nous devons trouver une nouvelle façon de construire l’économie et d’interagir avec la nature. Les causes structurelles du changement climatique et de tous les problèmes du monde sont dans le même ordre, et ainsi devrait être les réponses. Elles doivent être structurées, révolutionnaires et profondes » [57]. Ainsi, il est rassurant de constater que le souhait d’un autre paradigme et pratique économique ne soit pas limité aux cercles académiques ou aux groupes de pression. Mais, comme nous le savons tous, il y a encore beaucoup à faire.
3.5 Ecueils potentiels
Je terminerai en mentionnant deux écueils possibles. La première est de voir la consommation comme un bouc émissaire. Il est vrai que nous devons changer nos habitudes de consommation. Mais le moteur de l’économie capitaliste, c’est la production et non la consommation. Avant, nous avons vu comment le Complexe Industriel du Marketing a un contrôle écrasant dans nos comportements d’achat. Les déchets municipaux ne représentent qu’une fraction de l’ensemble des déchets. Les responsables principaux des déchets sont l’industrie, la construction et la démolition, l’exploitation minière, la production de combustible, le traitement des métaux, etc. [58]. En réalité, c’est le processus de production qui représente le vrai problème et non le levier pour réorienter l’économie. La consommation est un problème dérivé.
Le second piège est la « louange de la pauvreté » annoncée dans certains milieux [59]. Comme indiqué ci-dessus, les conditions matérielles d’une partie importante de la population mondiale ont encore besoin de beaucoup s’améliorer. Dans ces cas, une croissance considérable est nécessaire. Un ralentissement ou une réduction drastique de l’accumulation du capital se traduirait par une crise économique. Et compte tenu de l’équilibre actuel du pouvoir, nous savons tous qui va payer la facture. Annoncer qu’il faut consommer moins en laissant intact l’ensemble du système, s’intégrerait parfaitement dans la politique d’austérité des gouvernements néolibéraux actuels. Cela ne peut être le but.
4. Des mesures pratiques
Nous pouvons conclure avec une proposition de programme, en faisant la distinction entre le niveau international et national. Pour le premier, nous avons été inspirés par les textes du G77 et du Forum de Sao Paulo. Pour le second, nous nous appuyons sur le programme de l’Unité Populaire qui a remporté les élections au Chili en 1970, sur le Front sandiniste au Nicaragua, et sur les pratiques au sein et entre les pays de l’ALBA [60].
4.1 Au niveau international
Le principe fondamental est d’établir un ordre économique nouveau et juste, qui inverse les transferts entre le Sud et le Nord. Dans la pratique, cela signifie :
Protectionnisme. Interdire les barrières commerciales à tous les pays du Nord ; les pays du Sud devraient être autorisés à protéger leur économie jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain niveau de développement (par exemple, mesuré par le PIB par habitant).
Prix justes. Equilibrer les prix des produits de base à un niveau comparable d’autres produits. Élaborer des mécanismes pour prévenir la volatilité excessive des prix : contrats à terme, création de réserves, financements compensatoires lorsque les prix baissent de manière inattendue. Ceci serait combiné avec un système de tarifs préférentiels pour les pays les plus pauvres.
Soutien technologique. Création d’un organisme international qui fournisse une assistance technologique et scientifique aux pays du Tiers-Monde. Abolition de la propriété intellectuelle. Institutions internationales : l’OMC, le FMI et la Banque mondiale doivent être remplacés par des institutions en conformité avec les objectifs énoncés.
Flux de capitaux. Les flux financiers seraient strictement réglementés, pour rendre impossible la fuite des capitaux. Rendre pratiquement impossible la spéculation, par exemple, avec une variante de la taxe Tobin et l’abolition des paradis fiscaux.
Aide au développement et compensation. Une institution des Nations Unies calculerait combien chaque ex-puissance colonial doit payer à ses anciennes colonies pour les dommages causés. De même pour les dommages dus aux guerres impérialistes. En prévision de cet accord, ces pays investissent 1% de leur PIB en aide au développement.
Intégration économique. La coopération économique et l’intégration entre les pays du Sud doivent se poursuivre.
Environnement. Imposer des normes très strictes pour réduire les émissions de CO2, en prenant compte du niveau actuel de développement économique et de la dette historique écologique. Un fonds doit fournir aux pays développés des capitaux suffisants pour relever les défis environnementaux.
4.2 Au niveau national
L’économie serait orienté vers le développement social et durable. Cela nécessite, d’abord, une planification conjointe, pas dans tous les détails, mais suffisamment pour localiser les objectifs désirés. Pour ce faire, il est nécessaire de briser la mainmise des grandes entreprises nationales et étrangers (grandes propriétés, administration, banquiers) sur la macroéconomie.
Investissements. Les investissements prioritaires iront aux secteurs sociaux défavorisés : éducation, santé, logement.
Marché intérieur. L’approche devrait consister à renforcer le marché intérieur, en mettant l’accent sur la production de produits à usage domestique. L’afflux de capitaux en provenance ou vers l’étranger doit faire l’objet d’un examen rigoureux.
Modernisation. Accélération de la modernisation des secteurs économiques, à commencer par le secteur rural.
Réforme agraire. Les grandes exploitations de terres devraient être abolies et distribuer la terre aux paysans, à la fois dans les pays du Nord et du Sud.
Infrastructure. Prioriser l’électricité, l’eau, les télécommunications, les routes.
Secteur étatique. Nationaliser les secteurs clés et soumettre les investissements étrangers à un contrôle strict.
Démocratie économique. Créer des conseils de travailleurs et de paysans pour décider de la production et du commerce, par conséquent, dans la planification globale. Il sera possible d’élire et de révoquer les dirigeants.
Environnement. Elaboration de programmes d’urgence pour réduire la dégradation de l’environnement et réparer les dégâts autant que possible.
Ces programmes peuvent sembler très utopique mais, compte tenu de la réalité, ils semblent nécessaires. Ils correspondent à la volonté de millions de personnes dans le monde qui attendent que ces acteurs et ces stratégies soient réels et que la lutte pour ces objectifs commence dès maintenant. Dans cet esprit, je voudrais conclure avec les belles paroles écrites par Saint Augustin qui parle d’espoir : « L’espoir a deux filles de toute beauté : la colère et le courage. La colère face aux choses telles qu’elles sont, et le courage pour les changer. » [61].
Notes
[1] Vandepitte M., Crisis del capitalismo, http://www.rebelion.org/noticia.php ?id=121086.
[2] Le texte est le discours de l’auteur à la Conférence « Des Biens Communs au Bien Commun de l’Humanité » à Rome, 28-29 avril 2011, organisée par la Fondation Rosa Luxembourg de Bruxelles. Les discours de la conférence sont réunis dans le livre : Houtart F., Daiber B. (éd.), « Un paradigma postcapitalista : el bien común de la humanidad », Ruth Casa Editorial 2012. http://www.ruthcasaeditorial.org/ ?q=libro/un-paradigma-postcapitalista-el-bien-com%C3%BAn-de-la-humanidad_april_15_12.
[3] Pour décrire ce processus historique, Karl Marx utilise dans les Grundrisse le concept de « subsomption ». Le mouvement de subsomption contient deux composants : la subordination et l’assimilation. L’entité supérieure s’approprie un être inférieur et le transforme en accord avec lui-même, c’est la réduction et l’assimilation de l’inférieur au supérieur. Les termes que Marx utilise pour se référer à l’aspect de la subordination : Herrschaftsverhältenis, Unterordnen unter, unterwerfen, aufgenommen, sich bemachtigen, Zueigen-Machen, Aneignung, Einverleibung, Disposition über, Untergang in, Entfremdet sein, Entäussert sein, Veräussert sein, vollkommne Abhangigkeit. Les termes qui se référent à l’aspect de l’assimilation : Transposition, Transsubstantiation, gesellschaftlichen Stoffwechsels, sich zu assimilieren, die Verwandlung in Kapital, dem Kapital gemäss modifizierte Form, Verdrehung und Verkehrung, dialektisch umschlägt, Setzen in einer Besonderheit, ist sie selbst schon Moment des Kapitals, sind für es nur Mittel. Cfr. Vandepitte M., ‘Het beschavend karakter van het kapitalisme. Voorbij de clichés over Marx : een lezing van de Grundrisse’, Vlaams Marxistisch Tijdschrift, december 2003, 89-99.
[4] http://www.barclayswealth.com/Images/US_Insights5.pdf http://www.huffingtonpost.com/social/whatisrightisright/jan-schakowsky-incometax_n_836624_80927908.html.
[5] Amin S., From Capitalism to Civilization. Reconstructing the Socialist Perspective, New Delhi 2010, p. 25.
[6] Calculé avec The Economist, ‘The world’s richest people’, March 17, 2007, p. 110 and UNDP, Human Development Report 2010, New York 2010.
[7] SIPRI, http://milexdata.sipri.org/result.php4 ; http://www.sipri.org/media/pressreleases/2010/100602yearbooklaunch.
[8] Dierckxsens W., The Limits of Capitalism, An approach to globalization without neoliberalism, Londres 2000, p. 147.
[9] OIT, Global Employment Trends January 2010, Ginebra 2010, p. 54.
[10] OMT y OIT, Globalization and informal jobs in developing countries, Ginebra 2009, p. 27.
[11] OIT, Global Employment Trends January 2010,p. 12.
[12] Financial Times, février 16, 2011, p. 7.
[13] Hertz N. The Silent Takeover, Londres 2001. Traduction : El Poder en la sombra. Buenos Aires 2002.
[14] Chine 1945-46, Corée 1950-53, Chine 1950-53, Guatemala 1954, Cuba 1959-61, Guatemala 1960, Vietnam 1961-73, Congo 1964, Laos 1964-73, Pérou 1965, Guatemala 1967-69, Cambodge 1969-70, Nicaragua 1980-87, Salvador 1980-87, Granada 1983, Libye 1986, Panama 1989, Irak 1991-2008, Somalie 1993, Bosnie 1995, Soudan 1998, Afghanistan 1998, 2001-2012, Yougoslavie 1999, Pakistan 2005-2012, Yémen 2009-12, Libye 2011, Somalie 2011-12.
[15] Phillips L., ‘EU lobbyists shun European Commission register’, http://euobserver.com/18/26695.
[16] http://www.acrimed.org/article1519.html.
[17] The Economist, Juillet 8, 2006, p. 32.
[18] Herman E. & Chomsky N., Manufacturing Consent. The Political Economy of the Mass Media, Nueva York, 1988. En français : La fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie, Marseille, 2008 (édition revue et corrigée).
[19] Dawson M., The consumer trap : big business marketing in American life, Illinois 2003, p. 132v ; Foster J., Clark B. & York R., The Ecological Rift. Capitalism’s War on the Earth, New York 2010, p. 394 ; Dierckxsens W., op. cit., p. 28.
[20] Fromm E., To Have or To Be ?, Londres 1976 (En français : Avoir ou être, un choix dont dépend l’avenir de l’homme, Paris, 1978) ; Hedges C., ‘The Collapse of Globalization’, Mars 27, 2011, http://www.truthdig.com/report/item/the_collapse_of_globalization_20110328/.
[21] Les dates exactes et actualisées sont difficiles à trouver. Le PNUD calcule que la dépense mondiale en publicité en 1998 fut de plus 3% du PIB mondial. Aujourd’hui, cela signifierait environ 1,8 milliard de dollars. UDNP, Rapport sur le Développement Humain 1998, New York 1998, p. 63. Et il s’agit seulement de la publicité. Dawson dit que les Etats-Unis dépensent dans leur propre territoire environ 2 milliards de dollars. Dawson M., op. cit., p.1, note 1.
[22] ‘Facing the consequences’,The Economist, novembre 27, 2010, p. 79-82.
[23] Financial Times, décembre 1, 2010, p. 4.
[24] Financial Times, décembre 13, 2010, p. 4.
[25] Ce paragraphe s’inspire de van Leeuwen A., De nacht van het kapitaal. Door het oerwoud van de economie naar de bronnen van de burgerlijke religie, Nijmegen 1984.
[26] Dierckxsens W., op. cit., p. 140.
[27] Mészáros I., The Structural Crisis of Capital, New York 2010, p. 162-3.
[28] Voir Corm G., La Question religieuse au XXIe siècle. Géopolitique et crise de la postmodernité, Paris 2006, p. 145-160 ; Corm G., Le Proche-Orient éclaté, Paris 2007, p. 803-853 ; Rubin B. (ed.), Revolutionaries and Reformers, New York 2003 ; Kepel G., Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, Paris 2000 ; Tariq A., The Clash of Fundamentalisms. Crusades, Jihads and Modernity, Jihads and Modernidad, Londres 2003.
[29] Dans cet article, je vais parler de Cuba comme un exemple à trois reprises. Pour éviter tout malentendu, je n’ai pas la moindre intention d’idéaliser la Révolution cubaine. Pour ceux qui m’en suspecterait, je recommande de lire mon analyse sur les grands défis de la société cubaine d’aujourd’hui : Vandepitte M., ‘Los Desafíos Económicos Sociales y de la Revolución cubana en 2010’, 23 mai 2010, http://www.rebelion.org/noticia.php ?id=106387. Je ne veux pas non plus présenter Cuba comme un modèle. Une des plus grandes erreurs du XXe siècle fut de considérer des pays déterminés ou leur révolution comme des modèles à imiter ou exporter. Parler de Cuba est seulement une illustration, une source d’inspiration et pour démontrer que quelque chose est possible.
[30] Demuynck K. & Vandepitte M., De factor Fidel, Amberes 2008, chapitre 4. La primauté de l’éthique et des idéaux à Cuba est en tension à cause de la corruption généralisée. L’implosion de l’Union soviétique a provoqué une réaction jamais vue dans l’économie. Je crois qu’il y a une énorme tension entre le développement social, intellectuel et culturel d’un côté et un faible développement économique d’un autre côté (voir plus bas). Ce conflit a généré beaucoup de frustrations dans la population. Une deuxième conséquence fut qu’il n’y avait plus de relation entre le travail, le salaire et le pouvoir d’achat. Il est simple de comprendre que ces conséquences sont un bouillon de culture pour la corruption. Voir Vandepitte M.,op. cit.
[31] Castro F., ‘Discurso pronunciado en la Conferencia de medio ambiente y desarrollo de las Naciones Unidas’, Rio de Janeiro, Juin 12, 1992, http://www.cuba.cu/gobierno/discursos/1992/ing/f120692i.html
[32] Le prix fut décerné à Humberto Rios Labrada. Voir http://www.goldmanprize.org/2010/islands. Pour la discussion du problème écologique à Cuba voir Vanbrabant I. & Demuynck K., Cuba. Revolutie met een groen hart (La revolución de corazón verde), Bruxelles, 2010.
[33] Chattopadhyay P., ‘Towards a Society of Free and Associated Individuals : Communism’, in Saad-Filho A., Anti-capitalism. A Marxist Introduction, Londres 2003, 247-58, p. 250-1 ; Mészáros I., op. cit., p. 152f.
[34] Foster J., Clark B. & York R., op. cit., p. 396.
[35] Mészáros I., op. cit., p. 159.
[36] Amin S., op. cit., p. 26.
[37] Wilkinson R. & Pickett K, The Spirit Level. Why Greater Equality Makes Societies Stronger, New York 2009. En espagnol : Desigualdad. Un análisis de la (in)felicidad colectiva, Madrid, 2009.
[38] Hedges C., art. cit.
[39] Cuba a une histoire différente (voir plus bas) et en Chine la situation est complexe et contradictoire. Voir par exemple Morton K., ‘Policy Case Study : The Environment’, in Joseph W., (ed.), Politics in China. An Introduction, Oxford 2010, 278-287.
[40] FAO, State of Food Insecurity in the World 2004, Rome 2004, p. 5.
[41] PNUD, Human Development Report 2003, p. 98 & 101.
[42] J’emprunte la définition de Cockshott y Cotrell, en lui ajoutant le terme « soutenable ». Cockshott P. & Cottrell A., Towards a New Socialism, Nottingham 1993, p. 65. Mes idées de la planification s’inspirent dans les chapitres 3-7 de ce livre.
[43] Mészáros I., op. cit., p. 152.
[44] Figures de 2009, en $ PPP, basées sur le World Development Report 2011 de la Banque Mondiale, Washington 2011, p. 307.
[45] PNUD, Human Development Report 2006, New York 2006, p. v, 35 ; Shah A., Poverty Facts and Stats, Septembre 20, 2010, http://www.globalissues.org/article/26/poverty-factsand-stats.
[46] Quantités en $ PPP. Banque Mondiale, Measuring Global Poverty (2009), http://siteresources.worldbank.org/INTRES/Resources/469232-1127252519956/measuring_global.html.
[47] Source : PNUD, Human Development Report 1998, New York 1998, p. 37 and 63. Les dates remontent à 1998. Les proportions se maintiennent, mais les chiffres actuels doivent se multiplier au moins par deux. Rapport de développement humain 1998, New York 1998, p. 37 y 63 ; cfr. Vandepitte M., De kloof en de uitweg, Berchem 2004, p. 35. Pour la figure de la spéculation quotidienne, voir Bank for International Settlements, Annual Report 1998-1999, p. 117.
[48] Février 24, 2004, http://www.worldbank.org.md/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/ECAEXT/MOLDOVAEXTN/0,,contentMDK:20177096 menuPK:34475 pagePK:34370 piPK:42770 theSitePK:302251,00.html.
[49] PNUD et autres, Implementing the 20/20 Initiative. Achieving universal access to basic social services, Septembre 1998, p. 20.
[50] Vandepitte M., ‘15 jaar na de val van de Muur : het onbekende Kerala’, Novembre 17, 2004, http://archive.indymedia.be/news/2004/11/90238.html.
[51] IDH à Cuba : 0.904 ; Belgique : 0.914 ; Royaume Uni : 0.879. PNUD, Human Development Report 2010, New York 2010 ; http://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.PCAP.CD ; CIA, The Worl d Factbook, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/cu.html.
[52] Tous les chiffres sont du PNUD, Rapport sur le Développement Humain 2010. Un score de 100 signifie qu’on est le meilleur dans le monde et 0 qu’on est le pire. Un score entre les deux indique la position relative.
[53] Ceci ne veut pas dire que Cuba n’a pas de problèmes écologiques. Pour donner un exemple : Cuba a encore besoin d’importer une grande partie de ses aliments. Par conséquent, la sécurité alimentaire est un grand problème. Mais en général, le soin donné à l’environnement est très élevé (voir plus haut). Pour les dates, voir : WWF, Living Planet,Report 2010. Biodiversity, biocapacity and development, Gland 2010, p. 73. Le graphique provient de http://www.indymedia.ie/article/84625. Cfr. http://cow.neondragon.net/index.php/cuba-the-only-sustainable-developed-country-in-theworld.
[54] Herrera R., Un autre capitalisme n’est pas possible, Paris 2010, p. 80f.
[55] Foster J., Clark B. & York R., op. cit., p. 396.
[56] http://www.sustainablemeasures.com/Training/Indicators/GPI.html.
[57] Espinosa M., ‘Climate Crisis : A Symptom of the Development Model of the World Capitalist System’, Speech to the Panel on Structural Causes of Climate Change, World Peoples’ Conference on Climate Change and the Rights of Mother Earth, Cochabamba, avril 20, 2010, http://mrzine.monthlyreview.org/2010/espinosa300610.html.
[58] Foster J., Clark B. & York R., op. cit., p. 382.
[59] Herrera R., op. cit., p. 87-8.
[60] Sur le G77, voir Van de Meersche P., Noord-Zuid confrontatie en Nieuwe Internationale Economische Orde. Een historische - thematische - kritische inleiding, Amberes 1981. Sur les Forums de Sao Paulo, voir Alternatives Sud, plusieurs années de publications. Sur le programme de l’Unité Populaire, voir Cockroft J. (ed), Salvador Allende. Voz chilena de la democracia, Melbourne 2000, p. 257-285. Sur le Programme des Sandinistes, voir Ramírez S., Las armas del futuro, La Havane 1987 ; Wheelock J., Imperialismo y dictadura : crisis de una formación social, Mexico 1979 ; Fonseca C., Bajo la bandera del sandinismo. Obras Tomo 1, Managua 1985 ; Girardi G., Sandinismo, Marxismo, Cristianismo : La Confluencia, Managua 1986 ; NCOS, Nicaragua. De ondermijnde revolutie, Bruxelles 1985 ; Núñez O. y otros., La Transición Difícil. La autodeterminación de los pequeños paises periféricos, Managua 1987. Sur les pays de l’ALBA, voir Herrera R., Les Avancées révolutionnaires en Amérique latine, Lyon 2010 ; Boron A., Socialismo siglo XXI. ¿Hay vida después del neoliberalismo ?, Buenos Aires 2008 ; Ali T., Pirates of the Caribbean. Axis of Hope, Londres 2006.
[61] http://en.wikiquote.org/wiki/Augustine_of_Hippo.