ENVIRONNEMENT

Cuba : briser le pouvoir des entreprises permet le développement durable, par Marce Cameron


Dirigé par Peter Rosset et Medea Benjamin, The Greening of The Revolution (Ocean Press) est un des ouvrages de références sur les changements opérés dans l'agriculture cubaine dans les années 1990.

source : Green Left Weekly, 24 septembre 2011

traduit de l’anglais par Marc Harpon pour Changement de Société

Cuba est un leader mondial en pratiques écologiquement soutenables. C’est le seul pays à avoir commencé une transition à grande échelle d’une agriculture conventionnelle, lourdement dépendante des carburants fossiles vers un nouveau paradigme agricole appelé agriculture soutenable à faible niveau d’intrants.

Ces fermes fournissent environ 80% des fruits frais, des légumes, des herbes et des plantes médicinales consommées par les citadins. Elles sont maintenant complétées par des « ceintures vertes » en bordure de ville avec pour objectif l’autosuffisance locale et la soutenabilité écologique.

Cuba a été le premier pays à remplacer toutes les ampoules à incandescence par des ampoules à fluorescence économes en énergie et à interdire la vente des ampoules à incandescence..

L’île a également ouvert la voie en matière de décentralisation de la production électrique en installant des milliers de générateurs diesel de la taille d’un container là où on en avait besoin. Cela a diminué les pertes liées au transport de l’électricité et a rendu le réseau moins vulnérable aux coupures.

De nombreuses usines sucrières brûlent les déchets de la canne à sucre pour produire de l’électricité pour le réseau et les écoles rurales et d’autres installations sociales ont été équipées de panneaux solaires.

Les bicyclettes, mode de transport soutenable, ont fait l’objet d’une promotion et les communautés locales jouent un rôle clé dans le recyclage.

Les surfaces boisées augmentent du fait d’efforts de reforestation. Des récifs coralliens aux forêts denses, le réseau de zones protégées de Cuba en fait le joyau de la Caraïbe.

Cuba souffre de problèmes écologiques sérieux, des récentes sécheresses sévères et des inondations, qui peuvent être liées au changement climatique, à l’érosion du sol, la pollution, la diminution de la biodiversité, conséquences de pratiques passées et présentes peu soutenables.

Petit pays du Tiers-Monde soumis à un siège économique étasunien handicapant depuis 1962, Cuba n’a pas les moyens de se procurer les coûteuses technologies vertes.

Pourtant, Cuba est devenue un laboratoire social pour l’application de pratiques soutenables dont les écologistes des pays développés comme l’Australie ne peuvent que rêver.

Une raison pour laquelle Cuba est le premier pays du monde en matière de pratiques soutenables est la pure nécessité : Cuba a dû s’adapter à une raréfaction aiguë de l’énergie, des matières premières, des biens manufacturés et des ressources financières, du fait de circonstances extérieures.

Au début des années 1990, l’Union Soviétique et ses alliés d’Europe de l’Est, qui représentaient 85% du commerce extérieur cubain, ont coupé les liens avec Cuba en retournant au capitalisme.

L’effondrement soudain du « socialisme » bureaucratique soviétique a causé une contraction de l’économie post-capitaliste de Cuba de 35%.

Mais grâce à la solidarité enracinée dans sa révolution socialiste profondément populaire, Cuba a évité la chute dans la pauvreté abjecte et le chaos politique qui s’en seraient suivis si Cuba n’avait pas aboli le capitalisme dans les années 1960.

Cuba s’est tournée vers les bœufs pour labourer les champs parce qu’elle n’avait pas le choix : des milliers de tracteurs soviétiques restaient inutilisés par manque de carburant, d’huile ou de pièces détachées. Mais une fois les agriculteurs habitués au bœuf, ils ont découverts qu’il offrait beaucoup d’avantages que n’ont pas les tracteurs, en particulier pour des exploitations agricoles de petite taille.

Les bœufs sont moins coûteux à « manœuvrer », mangent de l’herbe au lieu de consommer du pétrole, compriment beaucoup moins le sol et produisent des engrais gratuits et naturels. Intégrés dans des systèmes agricoles conçus pour une soutenabilité écologique à faible coût, les bœufs sont un pas en avant autant qu’un pas « en arrière ».

La nécessité est peut-être la mère de toutes les inventions, mais beaucoup de bonnes idées sur la façon dont il faut commencer la transition vers une civilisation plus soutenable écologique ment sont condamnées à rester marginales tant que le capitalisme domine la planète- alors même que les sociétés capitalistes font l’expérience de crises économiques de l’ampleur de la « Période Spéciale » de la Cuba post-soviétique.

La nature même du capitalisme tend à empêcher ces bonnes idées d’être appliquées à une échelle suffisamment grande.

C’est principalement parce qu’il est plus rentable pour les grandes entreprises capitalistes de continuer à piller la planète.

La révolution socialiste cubaine a aboli la propriété capitaliste de richesses productives de grande taille et a remplacé le marché capitaliste par la planification centrale en vue de la satisfaction des besoins. Les mécanismes de marché, les coopératives et les petites entreprises privées ont un rôle subordonné.

A moins que le pouvoir des grandes entreprise ne soit renversé par un État basé sur l’auto-organisation des millions de travailleurs et de paysans qui produisent la majorité de la richesse sociale, le pouvoir économique restera un obstacle infranchissable pour l’ Australie et pour les autres pays dirigés par l’élite des entreprises qui voudraient suivre l’exemple cubain.

Cuba pèse peu sur le globe

En 2006, une étude de World Wildlife Fund a conclu que Cuba était le seul pays au monde avec à la fois un Indice de Développement Humain (un classement reposant sur un indice composite synthétisant des données sur la qualité de vie et le pouvoir d’achat) élevé et une « empreinte écologique » (une mesure de l’utilisation des terres et des ressources par personne) relativement faible.

L’étude concluait que si le monde suivait l’exemple de Cuba, nous aurions seulement besoin des ressources d’une planète pour nous soutenir indéfiniment.

En contraste, si le monde suivait l’exemple de l’économie capitaliste de l’Australie, nous aurions besoin de 3,7 planètes semblables à la Terre.
Tandis que le capitalisme global conduit l’humanité à la destruction de sa propre planète- dont les premières étapes se déploient sous nos yeux- le besoin de remplacer le capitalisme par un ordre social démocratique basé sur la propriété collective des richesses productives de grande échelle et la solidarité humaine se fera sentir de plus en plus vivement.

Cependant, les gens ne lutteront pour une telle société que si elle semble possible, réaliste et nécessaire. Là aussi Cuba est à l’avant-garde du monde.

Non seulement Cuba offre un exemple édifiant de ce qui est possible quand même un petit pays pauvre se libère de la tyrannie des riches, mais Cuba et le Venezuela conduisent sur la scène mondiale un bloc de pays d’Amérique Latine dotés de gouvernements progressistes- l’Alliance Bolivarienne pour Notre Amérique- pour la justice sociale et écologique.

A la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique à Copenhague en 2009, les pays de l’ALBA ont dénoncé le capitalisme comme la racine de la crise écologique, et ont sabordé un accord secret qui aurait placé le fardeau sur les épaules des pays pauvres, qui sont les moins responsables de la hausse des émissions de gaz à effet de serre.

La conférence de Nations Unies sur le développement durable, qui doit se tenir l’année prochaine à Rio de Janeiro, au Brésil, marquera les 20 ans du premier sommet de la Terre des Nations Unies.

Il vaut la peine de rappeler les mots de l’ancien président cubain Fidel Castro, au sommet de 1992. Castro a signalé qu’un cinquième de la population du monde « consomme les deux tiers de tous les métaux et les trois quarts de l’énergie produite dans le monde »

« Ils ont empoisonné les mers et les rivières. Ils ont pollué l’air […]. Ils ont saturé l’atmosphère de gaz, altérant les conditions climatiques avec les effets catastrophiques dont nous commençons déjà à souffrir.

« Les forêts disparaissent. Les déserts s’étendent. Des milliards de tonnes de sol fertile sont conquis par les eaux chaque année. De nombreuses espèces s’éteignent.

« La pression démographique et la pauvreté conduisent à des efforts de survie désespérés, même aux dépens de la nature. Les pays du Tiers-Monde, colonies hier, nations exploitées et pillées par un ordre économique international injuste aujourd’hui, ne peuvent être rendues responsables de tout cela…

« Assez d’égoïsme. Assez de combines pour dominer. Assez d’insensibilité, d’irresponsabilité, de tromperie. Demain, il sera trop tard pour faire ce que nous aurions dû faire il y a longtemps. »

 

 

Durban, le sommet de la dernière chance

Leandro Maceo Leyva

LA 17e Conférence mondiale sur le changement climatique qui se déroulera jusqu’au 9 décembre à Durban, en Afrique du Sud, suscite de nombreuses interrogations. Les gouvernements arriveront-ils à un consensus pour reconduire le protocole de Kyoto, qui expire en 2012 ? Parviendront-ils à un accord pour un changement indispensable des actuels patrons de production et de consommation à l’échelle mondiale nous permettant d’évoluer vers un modèle économique vraiment durable ? Les pays responsables de la plupart des émissions de gaz à effet de serre accepteront-ils d’apporter une contribution sensible à leur réduction ? Finira-t-on par reconnaître la dette écologique des pays du Nord envers les nations en voie de développement ?

En 2009, le 15e Conférence de Copenhague s’était achevée par un fiasco complet. Cette rencontre s’était caractérisée par « des procédures antidémocratiques et un manque total de transparence. Un groupe de pays, conduit par les États-Unis, le plus grand pollueur historique par tête, a pris en otage le processus de négociations et imposé un document apocryphe qui ne résout aucun des défis proposés par les recherches scientifiques les plus conservatrices sur le sujet », avait dénoncé le ministre cubain des Relations extérieures Bruno Rodriguez Parrilla, un an après au Sommet de Cancun, au Mexique.

Même si pour beaucoup, la Conférence de Durban représente la dernière chance de sauver la planète, ce rendez-vous, comme les précédents, se déroule dans une étrange atmosphère de défaitisme devant l’égoïsme et le manque de volonté politique des pays développés du Nord de s’engager sur des objectifs concrets en matière de réduction des émissions de gaz polluants, et d’assumer leurs responsabilités historiques face au changement climatique provoqué par leurs modèles de production et de consommation.

Les grandes puissances ne semblent pas disposées à œuvrer en faveur d’un accord juste et équitable. Un manque de consensus à cette conférence reviendrait à perpétuer l’égoïsme et l’irresponsabilité, une attitude que Cuba a dénoncée, en la qualifiant d’éthiquement et de politiquement inacceptable.

Quel contraste avec la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la la Terre nourricière, qui s’est déroulée l’année dernière à Cochabamba, en Bolivie, et qui s’était achevée sur un appel au pays industrialisés à s’acquitter de leurs obligations au titre d’un nouvel instrument international juridiquement contraignant !

À Durban également, d’une manière parallèle à la Conférence de nombreuses organisations indigènes venues du monde entier exigent davantage de présence dans les prises de décisions des gouvernements sur les questions environnementales.

Mais tandis que les peuples exigent des réponses au changement climatique dont ils sont victimes – nombre d’entre elles sont déjà irréversibles –, les principales économies mondiales se prononcent pour une plus grande implication des pays émergents tout en encourageant le gaspillage et la consommation irrationnelle des ressources limitées de la planète.

Les représentants des pays présents aujourd’hui à Durban se doivent de prendre conscience de l’urgence du sujet et profiter de cette dernière chance pour proposer des mesures concrètes pour sauver l’humanité.