CRISE DES MISSILES 15: ATTAQUER OU NE PAS ATTAQUER, LA EST LA QUESTION...

Publié le par cubasifranceprovence

Ruben G. Jimenez Gomez

 

Pendant ce premier jour de discussion et d'analyse du Comité Exécutif du Conseil National de Sécurité des Etats-Unis , le Président était déjà préoccupé par les missiles Jupiter stationnés en Turquie, ceux qui plus trad, deviendront un obstacle à la résolution de la Crise. Kennedy était aussi préoccupé parce que les Soviétiques pouvaient attaquer si les avions nord-américains attaquaient les armes soviétiques à Cuba, et également parce que les missiles que les Turcs étaient en train de finir de rendre opérationnels pourraient être tirés contre des cibles soviétiques sans son autorisation . Les têtes de combat nucléaires des Jupiter étaient séparées des missiles et contrôlées par du personnel étasunien mais n'importe quel missile qui serait tiré depuis la Turquie , avec une tête nucléaire ou conventionnelle, augmenterait énormément la tension alors que les choses s'éclaircissaient.

 

En ce temps-là, il n'y avait encore aucune sauvegarde électronique qui empêche physiquement le lancement de missiles sans autorisation. Les premiers exemplaires de ces mesures commençaient juste à être installés sur les nouveaux missiles intercontinentaux Minuteman des Nord-américains. Au lieu de cela, à chaque niveau de commandement, deux militaires devaient recevoir des instructions séparément et les confirmer entre eux, avant d'exécuter l' ordre de feu reçu. Inquiet parce que la guerre ne devrait pas commencer par un tir non autorisé depuis la Turquie , le président Kennedy indiqua à l'Assemblée des Chefs d'Etat Major que les sauvegardes existantes seraient renforcées et ordonna au chef étasunien en Turquie de rendre les Jupiter « non opérationnels » , c'est à dire de les détruire immédiatement si on essayait de les tirer sans une autorisation présidentielle expresse.

 

LES ENFANTS : L'HEURE EST VENUE !

 

Ce soir-là, pendant que le Comité Exécutif se réunissait, l'Assemblée des Chefs d'Etat Major se réunissait aussi . A cette occasion, on fit des propositions et on prit des décisions importantes, parmi lesquelles, celles-ci :

 

  • Considérer comme maladroite une attaque aérienne seulement contre les missiles nucléaires . On devait lancer l' attaque aérienne de grande envergure en attaquant les missiles de moyenne portée , les dépôts nucléaires si on en découvrait, les entrepôts militaires , les chars, les moyens de combat navals, et les autres objectifs significatifs qui pouvaient affecter les Etats-Unis et leurs forces.

  • A partir de l'attaque aérienne, on devait mettre en place un blocus naval total et commencer à exécuter les plans d'invasion établis : le plan OPLAN-314 ou le plan OPLAN- 316 selon ce qui serait décidé.

  • Avant de lancer l'attaque ou simultanément avec elle, il fallait disperser les bombardiers stratégiques.

  • Après le discours du Président sur la situation, s'il était fait au préalable, il faudrait faire passer les forces étasuniennes dans le monde au stade DEFCON 2. ( Note de l'auteur : Il faut signaler que , selon les conceptions nord-américaines, DEFCON (conditions de défense) avait 5 niveaux d'alerte. En temps de paix, les troupes se trouvaient généralement en DEFCON 5 et pouvaient passer à d'autres niveaux de préparation au combat jusqu'à DEFCON 2 . A ce niveau, elles étaient prêtes à combattre car DEFCON 1, c'était la guerre).

  • Prendre des mesures pour la défense de la Base Navale de Guantanamo.

  • Augmenter la défense antiaérienne dans le sud-est des Etats-Unis et augmenter les patrouilles aériennes avec intercepteurs durant les 24 heures, en les renforçant pendant la journée.

  • La mobilisation des 150 000 réservistes serait nécessaire.

  • On devrait envisager de déclarer l'état d'urgence national.

  • Le danger des missiles de moyenne portée stationnés à Cuba était suffisamment important pour justifier l'attaque, y compris depuis que les missiles étaient opérationnels .

Les membres de l'Assemblée des Chefs d'Etat Major étaient désireux de faire bonne impression devant le président après le fiasco de la Baie des Cochons et leur malheureuse intervention. Ils restaient fermes et unis pour recommander l'usage d'une force militaire écrasante contre les positions soviétiques et cubaines dans l'Ile. Ils défendirent constamment et avec une obstination digne d'une meilleure cause, l'usage de la force et se préparèrent diligemment pour l'attaque aérienne et l'invasion potentielle , ce qui était aussi la préférence initiale du Président. De plus, ils montrèrent clairement leur conviction : le moment et l'occasion étaient arrivés de se défaire de Castro , il fallait seulement profiter de l'occasion et ils étaient prêts à la faire. Plus, à ce qu' il semblait , ils étaient trop rigides sur leurs conceptions antédiluviennes, car ils ne furent pas capables d'apprécier les changements qui s'effectuaient autour d'eux. C'était comme si seul le violon qu'ils touchaient était capable d'émettre une note alors que ceux qui touchaient les autres émettaient une gamme de sons plus ou moins harmonieux. Pourtant, le Président et ses principaux conseillers étaient prêts à accepter même le malheur de coexister avec Castro dans certaines conditions mais pas avec les missiles soviétiques . Selon le principe de faire chaque chose en son temps , les militaires soutinrent obstinément leur opinion que Castro aussi représentait un grand danger pour la sécurité des Etats-Unis et qu'il fallait profiter de l'occasion pour l'éliminer à n'importe quel prix. Il était évident qu'ils manquaient de flexibilité. Cela fut la source des divergences qui existèrent entre les critères des dirigeants militaires et civils étasuniens en octobre 1962.

 

Cependant, dans la soirée de ce mardi , le Secrétaire à la Défense demanda l'opinion de l'assemblée des Chefs d'Etat Major sur les probables réactions soviétiques à une attaque des Etats-Unis contre Cuba, qui devaient être présentées le lendemain (17 octobre).

 

De toute façon, le secrétaire au Trésor, Douglas Dillon, le secrétaire conseiller à la Défense pour la Sécurité Internationale, Paul Nitze, et les membres de l'Assemblée des Chefs d'Etat Major doutaient du fait que la Crise débouche sur une guerre nucléaire et étaient confiants dans le fait que finalement, les Soviétiques céderaient. Ils considéraient aussi que l'équilibre nucléaire stratégique était un facteur significatif et en certaines occasions, déterminant dans l'adoption de décisions pendant la guerre froide. Ils pensaient que l'effort de Khroutchëv pour installer ses missiles à Cuba en constituait un exemple évident. A leur avis, avec les missiles ici, l'Union Soviétique doublerait pratiquement le nombre de têtes nucléaires qu'elle pourrait lancer contre des cibles étasuniennes , bien qu'elles soient de moindre puissance que celles des missiles intercontinentaux, qui seraient beaucoup plus vulnérables au noyau du pouvoir stratégique des Etats-Unis, à savoir, les bases de bombardiers du Commando Aérien Stratégique.

 

Un thème d'actualité et d'importance à ce moment-là, était celui de la relation qu'il pouvait y avoir entre les actions soviétiques dans les Caraïbes et leurs objectifs en Europe. Les Etasuniens considéraient les crises de Berlin et de Cuba comme deux visages de la même monnaie. Ils attendaient une forte réaction soviétique à Berlin devant toute action militaire à Cuba . Pour leur part, les fonctionnaires soviétiques de l'époque ont déclaré que, pour eux, Berlin et Cuba étaient deux thèmes indépendants, sans aucun lien étroit entre eux.

 

Maintenant bien, il faut reconnaître que le caractère secret de l'Opération « Anadyr » contribua à intensifier la Crise. Il était compréhensible que les Etasuniens soient terrifiés par l'apparition subite et secrète de missiles stationnés si près des Etats-Unis. L'alarme put être aggravée par le fait que les diplomates soviétiques nièrent la vérité jusqu'à la dernière minute. Il en résulta que les ambassadeurs soviétiques à Washington et à l'ONU ne savaient rien à ce sujet , car Khroutchëv le cachait délibérément. Sa campagne active de désinformation pouvait faire que Kennedy et ses conseillers suspectent l'Union Soviétique d'être en train de préparer une attaque de missiles surprise contre les Etats-Unis.

 

A ce sujet, Nikita Khroutchëv souligna dans ses Mémoires : « Les dirigeants politiques des Etats-Unis pouvaient supposer que nous avions des plans très agressifs contre leur pays (…) Ils ne prenaient pas en compte ce qu'ils avaient fait jusque là avec l'Union Soviétique , en nous entourant avec leurs bases militaires (…) Les impérialistes étasuniens voyaient ça comme quelque chose de naturel, comme quelque chose qui était leur droit à se défendre contre l'Union Soviétique (…) Cependant , maintenant il s'agissait de Cuba, qui était sous leur nez, et ils lui niaient son droit à se défendre. Voilà leur morale. Les impérialistes prennent en compte et appliquent la morale seulement si elle est soutenue par la force. Si une telle force n'existe pas, la morale n'est pas prise en compte.(...) Ils pratiquaient et continuent de pratiquer cette politique mais ils n'avaient rien expérimenté de semblable dans leur propre chair dans toute leur histoire. C'est pourquoi , à ce moment-là, ils étaient très perturbés et effrayés.

 

S'il la guerre éclatait, cette fois, ce serait différent pour les Etasuniens car lors de la première et de la seconde guerre mondiale, l'immense majorité d'entre eux n'a pas entendu le tir d'un fusil, n'a pas connu les explosion des bombes et des projectiles d'artillerie, ignorait les peines et les souffrances des évacuations, de la faim terrible et de l'occupation. Ils avaient combattu sur des terres lointaines. Cependant, maintenant ils se transformeraient en cibles de projectiles. Et quelle sorte de projectiles ! Rien moins que nucléaires ! »

 

Dès ce mardi 16 octobre, le Commandement Unifié de l'Atlantique, organe principal de commandement pour la direction des actions militaires auquel étaient subordonnées toutes les forces terrestres, navales et aériennes engagées , commença à s'organiser . Celui-ci était commandé par l'amiral Robert L. Dennison. L'Assemblée des Chefs d'Etat Major donna la responsabilité du blocus, si en définitive, il était mis en place, à un de ses membres , l'amiral George W. Anderson, chef des Opérations Navales de la Marine de Guerre des Etats-Unis. Les décisions seraient prises par le Président, en sa qualité de Commandant en Chef des Forces Armées et transmises par l'intermédiaire de son Secrétaire à la Défense.

 

Ce jour-là, la Maison Blanche, le Pentagone et d'autres institutions reçurent des instructions pour leur déplacement potentiel dans les prochains jours dans les installations souterraines. Les familles des chefs seraient informées sur leur possible déplacement à l'intérieur du pays . De plus, on avait préparé la mise en place de la censure militaire.

 

Pendant ce temps-là, à Cuba continuaient à se dérouler les activités planifiées liées, à cette date, à l'arrivée au port de Mariel du bateau « Omsk » qui accomplissait son second voyage, transportant entre autres choses, 5 missiles R-12 de combat et 2 de démonstration pour le régiment stationné à Santa Cruz de los Pinos-San Cristobal, avec lesquels les 42 missiles de type R-12 destinés à la division aérospatiale stratégique se trouvaient au complet.

 

LE CHANGEMENT DE POSITIONS COMMENCE.

 

Mercredi 17 octobre.

 

La journée commença avec ce qui pouvait paraître une plaisanterie à ceux qui savaient déjà ce qui se préparait en secret : Georgui Bolshakov, fonctionnaire de l'ambassade soviétique à Washington, transmit à Robert Kennedy un message personnel de Khroutchëv au président assurant qu'en aucun cas ne seraient envoyés de missiles sol-sol offensifs à Cuba .

 

Les dirigeants nord-américains connaissaient les résultats de l'analyse des photos aériennes qui avaient été prises le 15 au-dessus de la région occidentale de Cuba. On découvrit d'autres emplacements qui comprenaient 4 rampes de lancement dans la zone de San Cristobal, ce qui faisait 4 emplacements de missiles de moyenne portée avec 16 rampes au total. On découvrit aussi 2 nouveaux emplacements dans la zone à l'est de Guanajay. Par leurs caractéristiques les rampes de lancement situées en ligne, déjà connues pour avoir été photographiées antérieurement en URSS, pouvaient être pour les missiles de portée intermédiaire SS-5 (R-14 pour les Soviétiques), ceux qui étaient capables d'envoyer leurs têtes nucléaires jusqu'à des distances de l'ordre de 4 000 km. Avec eux pouvait être frappé tout le territoire continental des Etats-Unis et ils arriveraient même jusqu'à la Baie d'Hudson, au Canada, et à la capitale du Pérou, en Amérique Latine.

 

L'Assemblée des Chefs d'Etat Major présenta les opinions demandées la veille par le Secrétaire à la Défense concernant les probables réactions soviétiques face à une attaque contre Cuba. Les avis rejetés furent les suivants :

 

  1. Les Soviétiques ne déclencheraient pas une guerre générale pour Cuba.

  2. Leur riposte était plus probable à Berlin, en Turquie, en Iran ou en Corée.

 

De plus, l'Assemblée envoya à McNamara un document dans lequel elle s'opposait à une attaque aérienne seule contre les missiles . Ses membres défendaient l'idée d'une attaque aérienne large, suivie d'un blocus total et ensuite d'une invasion pour éliminer Castro. C'était le moment de se débarrasser de lui , soutenaient-ils, et les militaires pouvaient le faire. Il fallait seulement l'approbation du Président...

 

Ce jour-là, les avions U-2 réalisèrent 6 vols de reconnaissance à grande altitude au-dessus de Cuba et la CIA présenta une information de Renseignement indiquant qu'un blocus total ferait tomber Castro en 4 mois. Adlai Stenvenson, représentant des Etats-Unis devant l'ONU , effrayé par les résultats funestes qui pourraient être la conséquence d'une décision mal fondée, envoya aussi une lettre au président Kennedy dans laquelle, entre autres choses, il soulignait :

 

  • Le fait de prendre le risque ou non de commencer une guerre nucléaire est étroitement lié à l'adoption de la meilleure des décisions, et les jugements de l'histoire coïncident rarement avec la colère d'un moment.

  • L'existence de bases de missiles nucléaires en quelque endroit est négociable avant de commencer à faire quoi que ce soit contre elles.

  • Il doit être totalement clair que les Etats-Unis ont été, sont et seront prêts à négocier l'élimination des bases et tout autre question ; que ce sont eux qui ont altéré la balance précaire existant dans le monde avec un mépris arrogant envers vos avertissements et que nous n'avons d'autre alternative que de rétablir cette balance , c'est à dire, chantage et intimidation jamais, négociation et sagesse toujours.

 

A cette date, trois sessions de travail du Comité Exécutif eurent lieu, auxquelles ne participa pas le Président car il était allé dans le Connecticut pour les magouilles électorales du Parti Démocrate. Cependant, au début du travail, les membres du Comité savaient que Kennedy , à ce moment-là, penchait , s'ils se décidaient à faire quelque chose contre les missiles de moyenne portée et peut-être contre les aérodromes, pour le faire rapidement , sans avertissement.

 

La réunion commença par la discussion d'un document dans lequel étaient exposées les alternatives qui étaient considérées comme possibles à ce moment-là :

 

Option A : Prendre des mesures politiques, exercer des pressions et lancer un avertissement. Si la réponse n'était pas satisfaisante, attaquer militairement.

 

Option B : Attaquer militairement sans avoir auparavant lancé d'avertissement , exercé aucune pression et pris aucune mesure. Conjointement à cette action, seraient émis des messages soulignant son caractère limité.

 

Option C : Prendre des mesures politiques, exercer des pressions et lancer un avertissement en même temps qu'établir un blocus naval et invoquer l'autorité du Pacte de Rio et, ou procéder à une Déclaration de Guerre de la part du Congrès des Etats-Unis ou invoquer la Résolution Conjointe sur Cuba approuvée lors de la 87° Session du Congrès.

 

Option D : Invasion à grande échelle pour détruire la Cuba de Castro.

 

Le débat commença et les opinions se polarisèrent tout au long de la journée : alors que l'ex secrétaire d'Etat, Dean Acheson, le directeur de la CIA, John McCone, le général Taylor et le secrétaire Dean Rusk étaient pour l'action militaire directe, Boleen et Thomson se prononçaient pour un rapprochement diplomatique avec Khroutchëv et Castro avant d'entreprendre une action militaire . Pour sa part, Martin, Robert Kennedy et McNamara préféraient le blocus comme premier pas dans la campagne de pressions . Les autres membres du Comité se montraient hésitants entre ces tendances prédominantes.

 

Peu à peu, la variante du blocus pour empêcher l'introduction de plus d'armes offensives gagna des adeptes . Les partisans de celle-ci argumentaient que la présence des missiles soviétiques à Cuba n'avait pas une grande importance militaire car chaque superpuissance était capable de dévaster l'autre avec des armes nucléaires , même sans les armes qui avaient été introduites dans l'Ile . De plus, McNamara soulignait que le bombardement des installations de missiles causerait la mort de nombreux spécialistes soviétiques , ce qui provoquerait une riposte de Moscou. Dans ce cas, les Etats-Unis pourraient perdre le contrôle de la situation et l'escalade du conflit conduirait probablement à la guerre . On considéra aussi l'argument de la veille que tous les missiles ne seraient pas détruits dans le bombardement et que ceux qui resteraient indemnes seraient immédiatement lancés contre des villes des Etats-Unis , causant des millions de victimes.

 

Ceux qui étaient contre le blocus affirmaient que celui-ci seul ne détruirait pas les missiles et n'obligerait pas à arrêter les travaux d'installation sur les positions de lancement . De plus, en retenant les bateaux soviétiques , de toute façon, on entrerait dans un conflit avec l'URSS aux conséquences imprévisibles au moment où il fallait concentrer tous les efforts contre Cuba , non contre l'Union Soviétique. Ils disaient aussi qu'établir le blocus était donner un prétexte aux Russes pour faire la même chose à Berlin, ce qui n'entrait en aucune façon dans les plans de l'OTAN.

 

Les partisans de cette mesure, pour leur part, faisaient valoir que son avantage résidait dans l'utilisation flexible de la force et de la diplomatie , laissant des possibilités pour adopter des décisions ultérieures dans la mesure où les rapprochements s'accomplissaient , c'est à dire que le blocus était un moyen de pression limité mais susceptible d'être augmenté selon les circonstances . De plus, et c'était le plus important, il leur permettrait de continuer à contrôler le déroulement des rapprochements . Ceux-ci soulignaient qu'après avoir asséné l'attaque aérienne , il n'y aurait plus de voie pour le repli car si les Soviétiques ne faisaient pas de concessions, le pas suivant devait être l'invasion de l'Ile. Alors, l'escalade serait inévitable.

 

ET QU'ARRIVERAIT-IL SI... ?

 

Les partisans de la ligne dure, fréquemment appelés « les faucons », considéraient que les Etats-Unis avaient un avantage militaire irréfutable dans les forces conventionnelles dans les Caraïbes et , ce qui était plus important, également en ce qui concernait la capacité nucléaire stratégique. A cause de cela, Khroutchëv devrait céder à un moment ou à un autre. Ceux-là inclinaient pour forcer la situation en assenant l'attaque aérienne large.

 

Ses opposants comprenaient que tout usage de la force pouvait provoquer une escalade incontrôlable d'actions et de réactions jusqu'à ce qu'une des parties se sente obligée d'employer les armes nucléaires. Une fois franchi le seuil de la violence, personne ne pourrait prédire le résultat final mais le plus probable, c'est que cela occasionnerait la dévastation des deux pays. Pour ce groupe, l'équilibre nucléaire stratégique n'était pas en relation avec le nombre d'armes qu'on avait ni avec la capacité d'une partie à attaquer et désarmer l'autre, ni avec la quantité et les sortes d'armes nécessaires pour pouvoir riposter s'ils assénaient le premier coup. A son avis, chacune des superpuissances avait déjà plus d'armes qu'il n'en fallait pour s'entre-détruire , c'est pourquoi ces armes servaient seulement de frein à l'usage des mêmes.

 

La supériorité nucléaire des Etats-Unis n'était pas si grande qu'elle puisse se traduire en quelque chose d'utilisable pour atteindre des buts politiques parce que, même avant l'installation des missiles à Cuba, les Soviétiques avaient déjà assez de puissance nucléaire stratégique pour que les Nord-américains aient à affronter la perspective qu'ils leur occasionneraient des dommages irréparables s'ils utilisaient leurs armes de quelque façon contre eux. Ce jour-là, il y avait un accord général sur le fait que les missiles à Cuba ne changeaient pas de façon significative l'équilibre du pouvoir , cependant, la présence des armes soviétiques à 90 miles des côtes des Etats-Unis restait complètement inacceptable.

 

Maintenant bien, si les Nord-américains s'étaient décidés à envahir l'Ile , les risques d'une escalade nucléaire n'étaient pas simplement théoriques, comme conséquence de l'existence d'une quantité substantielle d'armes nucléaires tactiques ici, circonstance que les Etasuniens ignoraient. Bien que nous supposions que ces armes pouvaient être détruites lors des attaques aériennes répétées qui se produiraient au début des hostilités, il existerait toujours une grande probabilité que certaines d'entre elles survivent et soient lancées contre les troupes nord-américaines qui auraient débarqué ou qui seraient près de le faire. Alors auraient surgi deux variantes fondamentales possibles :

 

a) Les Etats-Unis auraient décidé que les dommages occasionnés par les armes nucléaires tactiques étaient acceptables, que la probabilité d'autres attaques similaires était faible ou nulle et que les opérations devaient continuer en étant conventionnelles,au lieu de risquer une escalade nucléaire inutile.

 

b) Les Etats-Unis pourraient prendre cette attaque comme excuse pour effectuer une escalade nucléaire afin de terminer rapidement les opérations à Cuba . Cela aurait fini avec un très grand risque d'escalade jusqu'à la guerre nucléaire mondiale . De toute façon, dans un conflit nucléaire limité seulement à Cuba, il est probable que les Nord-américains pourraient atteindre une victoire à la Pyrrhus , à un prix très élevé en vies, en technique et en armements. Cependant, dans ce cas, l'histoire ultérieure aurait été beaucoup plus périlleuse , car après avoir été employé pour la première fois dans un combat entre les deux grandes puissances, un nouvel usage de l'arme nucléaire pourrait devenir plus facile.

 

(A suivre)

 

(traduction Françoise Lopez)